2014 Journal de bord de la traversée du Pacifique des Galapagos aux Marquises
(18 mai au 5 juin)
(18 mai au 5 juin)
Nous partons le dimanche 18 mai 2014 pour une traversée d'un peu plus de 3 semaines en direction des îles Marquises. Nous abordons sereinement et bien préparés cette traversée en famille avec nos trois enfants Nils 7 ans, Tim et Estelle 5 ans chacun.
Le bateau est en bon état et les cales sont pleines. Nous avons fait le plein à Panama de livres et de jeux, les enfants ne devraient donc pas trop s'ennuyer.Quant aux parents, ils ne s'ennuieront certainement pas non plus entre les quarts et toutes les autres tâches quotidiennes à accomplir pour mener la barque à destination. Nous allons compter aussi sur la fiabilité de nos alarmes radar et AIS pour nous soulager un peu durant les quarts de nuit, car contrairement à la transat, nous avons choisi de ne pas prendre d'équipier pour cette traversée, les enfants étant plus grands maintenant.
Nous ferons un point matin et soir avec notre balise spot (cf lien en page d'accueil) permettant ainsi de visualiser notre progression.
Sur cette page-ci, notre ami Marc mettra le mail quotidien que nous lui enverrons par téléphone satellite racontant notre vie à bord tout au long de cette traversée de 3000 miles (5500 km) qui durera un peu plus de 3 semaines.
Jour 1: 19 mai 2014, Position 02°37'00S et 92° 45'38W à 16:00 UTC, 146 miles parcourus.
24 heures que nous sommes partis de Puerto Villamil sur l'île d'Isabela après avoir dit au revoir aux amis que l'on espère retrouver de l'autre côté. 3000 miles nautiques, c'est pas rien! 5500 kilomètres. A l'échelle de l'Europe, même en voiture, faut se lever tôt. Alors, en transportant sa maison, c'est quelque chose... Nous faisons cap au sud-ouest pour profiter du courant qui pousse dans cette direction à 1.5 nds. Lorsque nous aurons atteint le 5ème parallèle dans deux jours,nous virerons plein ouest. La houle venant du sud rend la navigation peu confortable. Nos estomacs sont un peu perturbés car nous ne sommes plus très amarinés avec ces longues escales aux Galapagos. On espère que dans quelques jours, lorsque le vent sera mieux orienté, le confort s'améliorera.
Les enfants sont en pleine forme. Nils et Estelle ont déjà fait une partie d'échec ce matin. Ils adorent ce jeu et commencent à bien se débrouiller. Tim est au poste canne à pêche, mais nous avons mis un bouchon à la place de l'hameçon car pour l'instant Delphine n'a pas l'envie de faire poissonnerie car nous avons encore beaucoup de poisson dans le congélateur. En effet, l'autre jour nous avions pêché un wahoo (tazard) de 25kg et de 1.40m. Mais pour Tim cela ne fait pas grande différence, car ce qu'il aime surtout c'est enrouler puis dévider la bobine. Nous avons vu quelques dauphins sauter au large et des oiseaux nous ont accompagnés toutes la nuit. Le vent forcit à 18-20 nds maintenant que nous nous éloignons des îles, nous avons pris 2 ris pour ménager le gréement. Voilà pour les news, alors "à demain si vous le voulez bien!"
Jour 2: 20 mai 2014, Position 3°52'61S et 95°03'45W, 163 miles de parcourus les dernières 24 heures.
On a fait une belle avancée. La journée a été difficile surtout pour Nils et Delphine, car les vagues étaient assez désordonnées et venant de 3/4 avant. Mais c'est un mauvais moment à passer, nécessaire pour rejoindre le 5ème parallèle sud où les courants sont portants vers l'ouest. Tim et Estelle jouaient comme si on était au mouillage. La nuit précédente on a croisé 2 bateaux de pêche peu visibles au radar. Mais depuis on n'a plus vu aucun bateau. Nos amis de Nomadeus ne sont pas très loin, mais ils ont pris une route plus au nord à cause des mauvaises conditions de vagues. En effet, c'est rarement le vent qui pose problème, mais plus l'état de la mer et surtout comment le bateau est orienté par rapport au vagues qui va déterminer le confort à bord. En fin d'après-midi nous avons eu droit à un ballet d'une trentaine de gros dauphins qui sautaient dans toutes les directions. Certains faisaient même des sauts périlleux. Nous n'avions jamais vu encore des dauphins faire de si hauts sauts.
Ce matin après la 2ème nuit, nous avons trouvés 13 poissons volants. Il y en avait partout. Tim était très content et me demandait d'en faire des accras dont il raffole(boulettes de poissons que l'on frit), mais venant juste de me réveiller, rien que l'idée, me souleva le coeur. On remettra ce projet culinaire à plus tard! Alors Huaras muni de son seau et de son balais n'a pas tardé à frotter le pont. C'est fou l'énergie qu'il a, alors qu'il n'a que peut dormi cette nuit à cause des vagues. On vient de mettre le gennaker car le vent a faibli et les vagues ont un peu diminué.
Jour 3: 21 mai 2014, Position: 4°47'13 S 97°45'21 W à 15 UTC. Parcouru 172 miles les dernières 24h.
Beau temps, sec (ce qui est rare en mer) et chaud. Les alizés se sont bien installés. Une grosse houle venant du sud-sud-est nous rend la vie à bord un peu difficile. Cela bouge dans tous les sens et parfois une vague plus grosse que les autres nous éclabousse. On file à 8 nds avec 2 ris. On pourrait aller beaucoup plus vite mais on ne veut pas trop forcer sur le matériel afin d'arriver sans casse. D'autre part il faut que l'allure reste confortable pour que les enfants puissent encore jouer et nous laisser nous reposer à tour de rôle. On a croisé à 6 miles de nous un cargo allant du Chili au Mexique. On espère que cela sera le dernier.
Nos amis de Nomadeus sont passés devant, ils sont un peu plus rapides car ils ont un bateau plus grand. 48 pieds, c'est le mètre en plus... Chez les navigateurs, c'est toujours la grande question: ais-je pris assez grand? 4 pieds de plus, c'est 10 % en plus, donc environ 10 % de vitesse en plus aussi. Eux filent à 10 noeuds, nous à 8-9. De plus, la différence provient aussi de l'équipage. En équipage réduit (couple avec enfants en bas âge) on met le frein à main la nuit. Nous, on vise la cible des 6.5 noeuds la nuit. C'est tout et bien suffisant avec ces nuits sans lune avant 1 heure du matin. Hier dans la journée le vent a faibli à 15 nds et on a pu mettre le gennaker. La moyenne sur 24 heures fut boostée d'autant. On est pas très chiffres, mais il semble que 172 miles/24 est notre meilleure moyenne so far. C'est bien.
On a retrouvé l'appétit et le soir c'est un poulet au curry qui a embaumé le cockpit, le "poulet jaune" est le plat favori des enfants. Merci le congélateur qui nous permet de varier l'ordinaire. Par contre, en terme d'avitaillement le "timing" était assez mauvais. Le samedi 17, la veille de notre départ, nous sommes allés dans une ferme pour cueillir des fruits et légumes frais. Mais après les pluies importantes de la semaine précédente et les passages de nombreux équipages avant nous, il ne restaient plus rien à part des bananes, des citrons, des oranges, des ananas et quelques épices. Alors nous avons quand même cueilli 3 régimes de bananes différentes qui vont être notre alimentation de base durant ces trois prochaines semaines.
Trouvant le choix un peu maigre, en rentrant de la ferme on a encore fait le tour des épiceries, mais là aussi presque plus rien. Finalement on déniche quelques pommes, poires et carottes. Trouvant cela un peu étrange, je finis par demander à un épicier pourquoi il n'y a plus rien sur les étalages ? Celui-ci me dit que le bateau hebdomadaire qui livre l'île en produits frais n'est pas arrivé cette semaine. On apprendra par la suite par l'équipage du bateau-ami "Parenthèse" que le dit bateau s'est échoué sur un récif à l'entrée du port de l'île de Santa Cruz. Un vrai pro le capitaine, 30 ans qu'il naviguait sur cette ligne... Borracho? à voir... Bon,on se résigne et on se dit qu'une cure de bananes et d'oranges ne nous fera pas de mal. En plus on a quelques délicieuses boîtes de conserves! Quelle n'est pas notre surprise en partant du mouillage pour débuter la traversée de voir un petit bateau de pêche déchargeant ce qu'ils ont pu sauver de la cargaison de produits frais du bateau échoué. Trop tard, on ne veut pas faire demi-tour pour quelques brocolis et quelques tomates. On se débrouillera comme ça.
Jour 4: 22 mai 2014, Position 5°29'73 S 101°24'80 W à 19h30 UTC, 190 miles parcourus les dernières 24h.
Nous avons battu notre record de distance en 24h et n'avons pas cherché à le faire ayant pris 2 ris dans la grand-voile et le foc légèrement enroulé. Une houle de 3 mètres nous pousse par 3/4 arrière ainsi qu'un courant de 1,5 nd portant et 20 à 25 nds de vent donnent des conditions idéales pour avancer vite. Mais le bateau bouge beaucoup et cela n'est pas très confortable. Il fait beau: air 27°C et eau 28°C. La visibilité est très bonne. Le matin au lever du jour, 75 % d'humidité ambiante, ce qui est tout à fait raisonnable en navigation. Le bateau n'est pas moite comme durant certaines traversées. L'alizé est bien là. Beau et fort. La vie à bord est un peu ralentie, car tout a une fâcheuse tendance à vouloir finir par terre, nous y compris.
Qui disait que sur un cata on restait bien à plat? J'en viens presque à envier certains (bons) monocoques qui, dans ces conditions de houle mal pavée, resteraient plus placides que notre plateforme de 90 m2 en polyester. Mais les enfants ne semblent pas perturbés dans leurs jeux. Nils et Estelle ont même remis une partie d'échec, heureusement que les pions sont aimantés. Tim affute ses stratégies de pêche et maintenant il fabrique des appâts avec des feuilles d'ananas. Les espadons n'ont qu'à bien se tenir! Comme tous les matins on a fait la cueillette des poissons volants. Il y en avait 13 et quelques autres ont fini leur trajectoire sur le pont durant la journée. Nous n'en n'avons jamais vu autant, ça saute de partout. On a vu aussi des grands splashs au loin, probablement des espadons en train de chasser. Même un petit calamar a atterri sur une des jupes. J'ai vu ses beaux yeux trop tard pour le réanimer. Il était déjà un peu sec.
L'après-midi, pour ouvrir les appétits d'oiseaux de Tim et Estelle, j'ai fait des brownies, et ça a été drôlement efficace. Nils a même dit que: "Cette croisière est vraiment bien, un peu comme si on était à l'hôtel. Car les parents essayent tout le temps de nous faire plaisir et nous racontent des histoires ou jouent avec nous dès qu'on en a envie. En plus Maman fait nos repas préférés. " (Lire spaghettis bolognaise, poulet au curry, bâtonnets de poissons maison, accras, filet de bœuf). Encore une fois merci le congélateur. Equipement qui au départ nous semblait superflu, mais qui, lorsqu'on est à mille lieues d'un supermarché, prend toute son importance. Vous trouverez qu'on ne pense qu'à manger, mais c'est vrai qu'en mer les repas prennent une toute autre importance qu'à terre. On passe beaucoup plus de temps à les préparer dans un univers en perpétuel mouvement souvent désordonné. Cela relève souvent du jonglage.
Jour 5: 23 mai 2014, Position à 17h00 UTC 5°59'45 S 103°58'93 W.
On a parcouru 176 miles les dernières 24 heures. La moyenne est bonne et pour l'instant on avance bien plus vite qu'on ne le pensait. On est toujours à 7 ou 8 nds sans forcer le matériel. Ce matin, on a sorti le gennaker qui nous pousse à 8 nds sans peine. Le courant équatorial de 1 nd nous aide aussi. Il fait beau et sec, même très sec pour se trouver au milieu de l'océan: 42% d'humidité, on doit remettre de la crème et du lipstick, ce qu'on n'avait plus besoin de faire depuis qu'on était arrivé au Panama. C'est signe que l'alizé est bien là en puissance.
L'océan est d'un bleu profond magnifique et nous ne voyons aucun déchet flotter contrairement à la Méditerranée ou à la mer des Caraïbes où cela nous avait beaucoup attristés. D'ailleurs, ce qui nous a aussi beaucoup plu aux Galapagos, c'est que les plages étaient propres contrairement aux îles des Caraïbes. Il faut aller drôlement loin pour être épargné par la pollution. Mais ne soyons pas trop optimistes, car lorsqu'on regarde de plus près la ligne déposée sur le sable par les vagues à marée montante, on voit quand même des micro-morceaux de plastiques de toutes sortes. Malheureusement la pollution s'est aussi globalisée.
Oniva ressemble presque à un cargo bananier. Comme je vous l'avait dit l'approvisionnement à la dernière île était un peu maigre et tout ce qu'il y avait ce n'étaient presque que des bananes. Alors maintenant qu'elles se mettent à mûrir, on en mange à tous les repas. Petit-déjeuner: bananes douces, midi: bananes plantains rôties ou bananes- légumes vertes, aux 4 heures: cake à la banane et au souper: rebananes plantains ou légumes et devinez quoi pour le dessert? Un flan à la banane! Si après tout ça on n'a pas le teint un peu jaune! Mais au moins on fait une cure de magnésium et de tryptophane (un acide aminé jouant un rôle dans le sommeil), c'est peut-être pour cela qu'on dort bien! Si sur google map vous voyez un sillage jaune, c'est celui d'Oniva.
Jour 6, 24 mai, position 6°31'32 S 106°46'70 W à 16h00 UTC. On a parcouru 179 miles ces dernières 24 heures.
C'est très bien. On a déjà fait le tiers de la traversée. Maintenant il ne reste plus que l'équivalent d'une transat (environ 2000 miles = 3700 km)! Autant dire que c'est du gâteau. Le bateau avance bien. On a sorti le gennaker et on a même pu le garder toute la nuit pour la première fois. les conditions sont stables: 17-20 nds de vent du SE et une houle du SE de 2 à 2.5 mètres. En fait, dans cet endroit à cette période, c'est du connu: la vent vient du sud au sud-est entre 15 et 25 noeuds et la houle du grand sud est omniprésente. Faut juste faire attention aux éventuels grains qui ferait s'affoler l'anémomètre mais jusqu'à présent, l'alizé a le dessus. Pas de surprises. On fait parfois des pointes à 10nds lorsqu'une vague plus grosse que les autres nous fait surfer.
En fin de journée on a vu un grand groupe de dauphins sauter haut, faire des bonds majestueux et chasser de tous les côtés du bateau. Tout le monde va bien et pour l'instant on ne manque pas d'occupation. Presque jamais les enfants ne demandent quand on arrive, alors que durant les navigation d'une journée, cette question revient assez souvent. C'est magnifique comme ils peuvent s'adapter vite à leur environnement puis le trouver tout à fait normal comme s'ils n'avaient connu que ça. Tim a juste demandé le 2ème jour quand c'est qu'on arriverait "aux Smarties"? Estelle a renchéri en disant qu'elle espérait que Sohan, le petit copain qu'ils ont connu aux Galapagos et qui navigue deux semaines devant nous, leur laisserait quelques Smarties et qu'il ne les ramasserait pas tous.
Nous avons parcouru plus de 15° de longitude depuis les Galapagos. 15° c'est la grandeur d'un fuseau horaire, alors on a décalé les montres. En fait, naturellement on s'était déjà décalé car on vit depuis longtemps (bientôt 2 ans) au rythme du soleil. Quand il se lève, on se lève. Quand il se couche les enfants vont au lit et nous 2 ou 3 heures après. Cela est parfois comique aux escales, lorsqu'on veut sortir au restaurant et que selon le fuseau horaire et le pays où on se trouve, parfois on aimerait souper à 16h30! Sous les tropiques les nuits sont quasiment aussi longues que les journées avec une variation d'un peu plus d'une heure entre l'hiver et l'été. Aux Galapagos, qui se situent à l'équateur, le soleil se couche très rapidement et la nuit noire s'installe très vite.
Maintenant que les conditions sont bonnes, on a sorti les cannes à pêche. 10 minutes après les avoir mises à l'eau un gros poisson vient de se libérer. On vous redira ce que ça donne.
Jour 7, 25 mai, 164 miles parcourus les dernières 24 heures. Position 6°56'90 S 110°00'95 W à 20h10 UTC le 25 mai.
La journée a commencé par une mer assez calme et régulière.Puis le vent s'est mis à monter jusqu'à 22-25nds au lieu des 15 nds annoncés. On décide malgré tout de garder le gennaker. Mais ça s'est gâté durant la journée avec l'apparition de deux houles croisées, une du sud-est de 2 mètres et une du sud de 3 mètres, le tout avec des courants changeants, cela a donné une belle marmite dans laquelle Oniva s'est bien fait ballotter. Le sommet a été atteint lorsque, à la demande unanime des moussaillons, je me suis lancée dans la cuisson de spaghettis et à ce moment-là on aurait dit qu'il y avait aussi de la houle croisée dans la casserole, je vous laisse imaginer. Demain, c'est promis j'adapterai le repas à l'humeur de la houle et non à celle des moussaillons.
Sur la demande insistante de Tim, on a finalement sorti les cannes à pêche. Trois fois des poissons ont mordu, mais trois fois ils ont décroché. La pêche a donc été remise à plus tard au vu des conditions de vent et mer qui nous font aller trop rapidement pour pouvoir pêcher correctement. L'après-midi c'est la chasse au trésor. Chacun des enfants doit trouver un petit cadeau caché dans le bateau. C'est la fête et comme c'est des livres, on a droit ensuite à un long moment de tranquillité. Ensuite le ballet des dauphins est de retour pour notre plus grand bonheur.
A plus de 1000 miles de toute terre on voit encore quelques oiseaux. A chaque fois ils s'approchent du bateau, en font quelque fois le tour et repartent. Ce soir on s'endort très vite, fatigués par tout ce bruit que font les vagues dans le sillage du bateau et par les mouvements incessants et un peu anarchiques du bateau dans ces conditions.
Vous dites: "on dort" et qui conduit le bateau alors? Eh bien, on le met sous pilote automatique, un appareil qui garde le cap souhaité et barre à notre place. En naviguant en équipage réduit avec 3 jeunes enfants, c'est tellement vital pour nous ce pilote, qu'on en a même fait rajouter un deuxième de rechange, au cas où le premiercasserait. Ok!Ok! Mais qui assure la veille? Alors là c'est plus délicat. Nous n'arriverons pas sur une durée de trois semaines à se relayer pour veiller en permanence, la fatigue serait trop grande. Alors on a fait le choix, qui certes comporte un certain risque, de ne pas veiller une partie de la nuit pour pouvoir récupérer et être disponibles sans trop de fatigue pour les enfants la journée.
Donc le soir l'un de nous va se coucher en même temps que les enfants puis l'autre veille jusqu'à qu'il soit trop fatigué. Ensuite on branche le radar et son alarme et l'alarme AIS. On éclaire aussi les voiles avec le feu de hune pour être bien visible. Huaras et moi dormons dans le carré et/ou le cockpit pour entendre rapidement s'il y a quelques chose qui ne va pas. Notre esprit en alerte fait que naturellement chacun de nous se réveille toutes les 2 heures environ de façon décalée la plupart du temps et fait un tour d'horizon et un contrôle au radar sur 24 miles avant de se rendormir. Cela fait plus de 4 jours que nous n'avons vu aucun bateau. Bien sûr cette façon de faire ne s'applique que pour cette traversée-là dans une zone du monde peu fréquentée, car autrement nous assumons toujours les quarts en veillant. Ah! On se rappelle avec envie du bonheur d'une nuit de sommeil sans interruption. Avant la naissance des jumeaux... A long time ago.
Jour 8 , 188 miles de parcourus les dernière 24 heures. Position le 26 mai à 16h15 UTC : 7°19'38 S 112° 36'81 W
Il y a toujours 18-20 nds de vent et on a laissé le gennaker toute la nuit. Avec une vitesse de 7.8 nds de moyenne, on se voit bien avancer. On va approcher la moitié du parcours, cela nous encourage. Mais le confort à bord n'est toujours pas terrible. La faute à ces deux houles superposées une du sud due aux dépressions des 40èmes et l'autre du sud-est qui est la houle du vent que l'on a. On se résigne et on s'adapte. Pour l'instant on ne peut pas mettre le Parasailor (spinnaker) car le vent ne vient pas encore assez par l'arrière. Cela devrait normalement changer sur la seconde partie de la traversée. On verra. Le matin une grosse averse nous a réveillés, heureusement de courte durée. Bienheureuse, elle a suffi à déssaler le pont et les cordages. Ensuite le soleil est revenu et il a même fait chaud (31°C).
Jusqu'à présent nous n'avons eu que du beau temps, contrairement aux Galapagos où le temps était très changeant. Là-bas, on était encore dans la ZIC (zone de convergence intertropicale). Cette zone est une bande se situant à l'équateur où il y a beaucoup d'humidité, des vents très variables et des grains continuels. C'est pourquoi lorsque nous avons quitté les Galapagos, nous sommes partis assez au sud jusqu'au 5ème parallèle pour sortir de cette zone et surtout rejoindre le courant équatorial poussant à l'ouest et les alizés qui sont des vents secs et réguliers.
Ensuite nous avons fait atelier couture. Moi pour les habits des enfants et Huaras pour le gennaker qui a eu un accro lors d'une manœuvre un peu mouvementée. Ce beau temps nous ravit car pour nous il est aussi signe d'énergie. Avec nos 660 Watts de panneaux solaires, l'idée était d'en faire un bateau autonome, dont l'énergie ainsi produite suffirait à la consommation électrique du bord. Cela est le cas lors des petites traversées et au mouillage lorsqu'il fait beau. Mais lors de cette transpacifique cela n'est pas suffisant. Le pilote automatique fonctionne 24h/24h (non, nous ne lui laissons pas de répit), le radar est utilisé par intermittence et surtout le congélateur en route, font que notre consommation énergétique prend l'ascenseur.
Alors heureusement qu'il y a Mühleberg, notre générateur de 9KWH qui nous dispense les watts manquants. 30 minutes matin et soir suffisent la plupart du temps. Nous sommes partis des Galapagos avec le réservoir de fuel plein et il le sera quasiment encore arrivés aux Marquises. La vie à bord suit son cours et nos bananes mûrissent bien vite... ce qui fait qu'on en mange à tous les repas et même en jus avec des oranges. C'est délicieux. Les enfants vont très bien, mais parfois on voit qu'ils aimeraient bien pouvoir se défouler un peu plus. Alors, lorsque l'excitation monte un peu, on leur fait faire des exercices de gym ou on leur lit une histoire. A demain. Delphine
Jour 9, 171 miles de parcourus les dernières 24 heures. Position le 27 mai à 8h45 UTC 7°57'10 S 115°33'47 W
Aujourd'hui on est à mi-chemin entre les Galapagos et les Marquises. A 20h nous avons parcouru 1460 miles soit 2700 km. Cela fait une moyenne de 7.3 nds soit 175 miles pas jour (324 km). Jusqu'à présent c'est notre meilleure moyenne sur une traversée de plusieurs jours. On réalise le chemin parcouru, mais aussi celui qu'il reste à faire. Cette seconde partie de traversée risque bien d'être plus longue mais certainement plus agréable. En effet les vents et la houle ont l'air de se calmer un peu, de s'orienter plus en direction de l'ouest.
Le matin en voulant envoyer le message du jour, le fil de l'antenne externe du téléphone satellite me reste dans les mains. Plus moyen d'envoyer ou de recevoir des mails. Par contre pour les SMS cela fonctionne. Alors Huaras passera sa matinée à essayer de réparer l'Iridium, le fil est vite remis en place, mais il y a aussi la connexion avec le socle qui est défectueuse. Pour compliquer l'affaire il se trouve que nous sommes depuis 4 jours dans une zone où les satellites sont plus rares et il peut se passer plusieurs heures sans que l'on ne puisse établir de connexion. Bien sûr le Pacifique sud n'est pas un endroit très peuplé donc peu intéressant en terme de couverture. Finalement au moment de déclarer forfait, Huaras réussit enfin à réparer le précieux instrument qui me permet de vous raconter tout cela quasiment en direct.
Côté pêche on a 3 touches qui se décrochent de nouveau. A chaque fois ce sont des cris de joie de la part des enfants: "Poisson, poisson!" suivi d'une grande déception lorsque le-dit poisson se décroche. La faute à notre vitesse très souvent au-dessus de 8 nds, ce qui n'est pas idéal pour la pêche. L'idéal se situant vers 5-6 nds. Au moment où le poisson mord il faudrait pouvoir ralentir le bateau, mais à deux adultes avec le gennaker en place ce n'est pas possible. Déjà en transat à 3 adultes ce n'était pas toujours facile et on allait moins vite, mais là à 2 c'est difficile. Alors tant pis il faut choisir entre pêcher ou avancer. Ce n'est pas si grave on a encore du wahoo dans le congél.
C'était un après-midi pâtisserie, les enfants adorent en faire, ou plutôt me regarder faire puis lécher les bols et les spatules. Moi qui ne connaissait pas une recette avant de partir en bateau, je devient une experte en muffins et cakes en tout genre. C'est un bon moyen d'employer les fruits lorsqu'ils mûrissent tous en même temps comme les bananes en ce moment.
Chaque soir avant d'aller au lit les enfants s'asseyent au poste de barre et on regarde tous ensemble dans la nuit complète le magnifique ciel étoilé en éteignant toutes les lumières. En ce moment on ne voit presque plus la lune la nuit et comme l'air est sec on voit les étoiles jusque très bas sur l'horizon. Parfois on dirait même des feux de mâts de bateaux tellement elles semblent proches. Nous n'avions encore jamais observé en mer un ciel si beau. La voie lactée nous apparaît dans toute sa splendeur. Ces moments-là font partie des moments de grâce du voyage où le temps semble s'être arrêté. Il y a deux nuits en arrière Huaras a vu une étoile filante qui en tombant dans la mer a fait une grande gerbe lumineuse. Difficile pour lui de dire la distance, mais il en a été impressionné.
Jour 10, 132 miles parcourus les dernières 24 heures. Position le 28 mai à 17h UTC 8° 13'50 S 117°40'40 W
La moyenne journalière a sacrément diminué, presque 40 miles de moins que le jour d'avant. Heureusement la mer est devenue plus calme et le vent a diminué car aujourd'hui c'est la journée malchance. En observant le gréement ce matin, Huaras voit qu'une poulie qui tient le Parasailor (spi) est cassée. Il monte alors dans le mât pour la changer. Sympa avec la houle croisée... L'orsqu'il est en haut, il voit aussi que l'un des 3 haubans qui tient le mât a un toron de cassé. Le hauban est fait d'un câble de 14 mm de diamètre constitué d'une vingtaine de torons qui sont des petits câbles tous torsadés ensembles. C'est avec beaucoup d'inquiétude qu'il redescend me l'annoncer.
Au début, on voit tout en noir en se disant que les autres vont aussi lâcher, et que fera-t-on à 1400 miles des Marquises au milieu du Pacifique sans mât? Puis on réfléchit calmement et on se dit que le reste du câble semble encore en bon état et que cela devrait tenir jusqu'aux Marquises si les conditions météo sont clémentes et que l'on fait très attention à ne pas trop solliciter le gréement. Huaras était monté en haut du mât pour tout vérifier avant de débuter la traversée et tout était en ordre. C'est probablement ces huit jours de mer croisée difficile et le vent soutenu qui auront eu raison de ce câble. Il est vrai que les secousses et les chocs étaient parfois forts, même en réduisant bien la voilure. On est qu'à moitié surpris de cette découverte. Car lorsqu'il s'agit de quelques heures de conditions difficiles, le matériel supporte, mais sur la durée cela a été probablement trop, d'autant que le bateau a maintenant déjà 5 ans. Normalement un gréement se change tous les 7-8 ans.
Aux Galapagos, une semaine avant de partir, nous avons revu un catamaran qui avait cassé son mât après 400 miles de traversée vers les Marquises. Il a juste réussi a faire route au moteur jusqu'aux Galapagos avec son plein de fioul. De là, il va devoir refaire le plein, puis retourner au moteur jusqu'au Panama, 900 miles plus loin pour réparer... Avec notre téléphone satellite et son antenne réparée temporairement, on envoie un mail à la fabrique Fountaine-Pajot en France pour lancer la commande d'un hauban de rechange. . On espère que cela ne va pas mettre une éternité à ce qu'on reçoive le nouvel hauban aux Marquises.
Côté assurance, cela sera pour notre pomme, car il y a une grosse franchise, mais cela est un détail. L'apès-midi Huaras remonte au mât pour essayer de le sécuriser avec des cordes au cas ou il lâcherait. Il passe donc des heures en haut du mât à fixer le mieux possible des cordes et des câbles. Exercice sympathique et fort facile à effectuer en mer. Le soir on se dit qu'on a fait le maximum pour sécuriser le tout et prévenir l'avarie grave, la perte du mat et de tout ce qui va avec. C'est très fatigué qu'on se couche en même temps que les enfants.
Autre déconvenue, mais anecdotique celle-ci, Tim a perdu son hameçon préféré qu'on venait de lui offrir car sa ligne a cassé sous le poid d'un trop gros poisson. Mais ça c'est pas grave! On en a plein de rechange. C'est donc la morosité qui a régné durant cette journée. Cette seconde partie de traversée risque d'être plus longue avec un souci en arrière-pensée. Mais on va être très prudent et Huaras va monter chaque jour au mât vérifier l'état du hauban. Avec le Parasailor l'avantage est que les forces sont plus régulières et qu'il y a moins de contraintes brusques qu'avec la grand voile. Question courante des terriens: "Et en mer, vous ne vous ennuyez pas?" A demain. Delphine
Jour 11, 142 miles de parcourus les dernières 24 heures. Position le 29 à 17h00 UTC 8°32'53 S 120°00'00 W.
Nous avons parcouru 1/3 du globe en longitude depuis le méridien de Greenwich. Nous avons gardé le Parasailor la nuit car les conditions étaient tranquilles. La moyenne journalière a bien ralenti car nous réduisons la voilure plus que d'habitude afin de ménager notre hauban défectueux. Bien nous en a pris car cela c'est gâté en soirée et on a eu des rafales jusqu'à 29 nds avec de nombreux grains. Nous avons fait une pointe à 12.8 nds dans un surf avec 3 ris dans la grand-voile et le génois enroulé. Nous sommes restés dans cette configuration pour passer une nuit sûre et calme. Calme relatif car la mer est redevenue croisée avec une houle de 2.5 m. Décidément cette traversée n'est pas de la tarte.
Le matin Huaras remonte en haut du mât pour voir l'état du hauban. Rien n'a changé heureusement. Nous avons reçu plusieurs messages rassurants d'amis concernant notre hauban. Cela nous met du baume au coeur et on se dit qu'on arrivera certainement sans problème aux Marquises. Merci à eux!
Alors la vie normale à bord reprends son cours. Je fais du pain, des petits pains au chocolat et des yaourts car nos réserves de produits frais diminuent. Nils apprend à lire en anglais avec son Papa. Il utilise les mêmes livres que Huaras a utilisés voici 44 ans pour effectuer semblable exercice lors de son séjour en Angleterre. Peter, Jane and Pat the dog. De l'avis du professionnel en pédagogie qu'est depuis devenu Huaras après des très hautes (!) études sur le sujet suivies de plus de 15 ans dans la profession, ces livres n'ont pas pris une ride. Sauf les dessins, peut-être. La pédagogie utilisée est au top. Du bel ouvrage, sans blague. Puis, il y a le jeu d'échec. Pour la première fois de sa vie, Nils a battu son père! C'est le début de l'autonomie de l'enfant. Bientôt, il fera de meilleures pommades que sa mère et résoudra les équations à plusieurs inconnues plus vite que son grand-père. Suivent, les histoires, les dessins...
Depuis qu'on est dans le Pacifique, les bateaux avec enfants à bord se font plus rares que dans les Caraïbes. Si bien que lorsqu'on en voit un on va rapidement à leur rencontre pour que les enfants jouent ensemble. Souvent ce sont plutôt nos enfants qui nous disent: "Des copains, on a vu des copains sur ce bateau!". Mais ce matin on a reçu un mail inhabituel. Une famille allemande a entendu dire par un autre bateau que nous allions arriver aux Marquises d'ici peu et ils nous proposent déjà un rendez-vous dans un mouillage avec une plage pour que nos enfants respectifs puissent jouer ensemble. Animaux sociaux que nous sommes, tous les moyens sont bons pour se rapprocher.
Depuis Panama on assiste vraiment à une migration des bateaux dans la même direction: l'ouest. Si bien qu'on n'arrête pas de revoir et de croiser les mêmes bateaux au fur et à mesure qu'on avance. Ainsi on s'échange des nouvelles des uns et des autres avant même de les avoir revus. C'est un petit monde celui des navigateurs au long court et on fini par rencontrer une variété incroyable de gens. Tous ont des parcours de vie très différents et les différences sociales nous semblent bien moins visibles qu'à terre. Les différences culturelles restent cependant bien marquées selon les pays d'origine. Mais sur un bateau, on est navigateur-voyageur avant tout, quelque soit la taille du bateau ou les différents moyens. Nous aimons beaucoup ce milieu varié, ouvert et enrichissant. Le côté plus difficile de ces rencontres est qu'elles sont souvent éphémères et qu'à chaque fois cela n'est pas évident de se quitter sans savoir si on se reverra un jour. A demain. Delphine
Jour 12, 127 miles de parcourus les dernières 24h. Position le 30 mai à 17h37 UTC 8°52'66 S 122°11'90 W
La moyenne journalière a encore diminué, car on est très prudent avec ce hauban défectueux. On a sécurisé le gréement le mieux possible avec des cordes. On n'a pas envie de finir à la rame. Car il nous reste encore un peu plus de 1000 miles avant les Marquises, soit une bonne semaine. Heureusement si l'on peut dire, le hauban endommagé est du côté sous le vent à tribord, soit le côté où il y a le moins de tension. La mer reste assez désordonnée et le vent a diminué à 15 nds.
Huaras raconte: "Le matin après avoir déjeuné, je mets une canne à pêche à l'eau avec mon meilleur hameçon. Celui que Delphine m'avait offert récemment à Isabela lors de mon anniversaire de mes 28 ans. Un chouette truc en plastique fluo made in China avec des yeux d'anges irrésistibles. Tout à coup, le grand jeu. Un magnifique espadon bleu me fait son show à côté du bateau. Sauts périlleux, marcher sur l'eau sans les mains, le tout, quoi. Un grand, un vrai d'environ 3.5m, plus long que notre annexe! Il parvient même à tirer le fil et à passer sur l'avant du bateau, à nous dépasser. On freine le bateau à 4nds.
Je ne vous dis pas la réaction de Tim. "Je le veux le grand poisson, je le veux vas-y Papa, ramène-le à bord!" Idem pour Delphine. "Je vais te faire de la place dans le congèl!". Moi qui, tout d'abord ne rêve que d'arrêter le congélateur, me vois mal ensuite faire poissonnerie toute la journée avec si un bel animal de x kg... Enfin bref, il est au bout de la canne, donc on tente le coup de le ramener. 15 minutes de belle bataille. Il cherche à plonger. La canne plie dangereusement. Je reprends, il replonge et ainsi de suite. Delphine ayant peur qu'il m'emporte, me met mon gilet et m'attache avec le harnais. Combien de temps cela va-t-il durer? Puis soudain plus de tension au bout le la canne, le vide, notre fil de 60 livres a, comme de bien entendu cassé. Le poisson mange le tout et s'en va dans un grand éclat de rire. Merci à lui pour cette démonstration. Merci à lui de s'être détaché aussi. Quel bel animal. Waaaouh!" On se serait vraiment cru dans le film préféré de Tim: "The Old man and the Sea" d'après le livre d'Ernest Hemingway, sauf que notre barque est un peu plus grande et le poisson un peu plus petit. Le soir on se contentera de délicieux accras faits avec le poisson qu'il nous reste dans le fameux congèl ! Une petite devinette: Quel est la boisson préférée de Tim? Réponse: Le jus de pêche, ah! ah!
Comment se passe la gestion de l'eau à bord d'Oniva? Au départ des Galapagos, on est parti avec les réservoirs de 600 litres pleins. L'eau pour la consommation est mise directement dans des bouteilles et dans un tonneau, ce qui fait environ 70 litres. On fait attention à la consommation en surveillant les enfants lorsqu'ils se lavent les mains et en ne prenant pas de douche tous les jours. Mais comme on ne bouge et transpire pas trop et qu'à bord les enfants se salissent beaucoup moins qu'à terre, cela va très bien. Ensuite pour faire la vaisselle, on a un robinet d'eau de mer pour laver et l'on rince à l'eau douce. Huaras a aussi prévu un système de récupération d'eau de la pluie qui tombe sur le toit. Mais de ce côté, on a à peine eu 10 minutes de pluie depuis le début de la traversée, alors pas de quoi remplir les réservoirs, juste de rincer le sel. Il y a 3 jours lorsque le niveau des réservoirs est descendu à 1/4 et profitant d'une accalmie de la houle, on a fait fonctionner notre déssalinisateur, en une heure on avait fait 200 litres de quoi suffire pour 6-7 jours. Au cas où tout tomberait en panne et qu'il ne pleuvrait pas, nous avons un déssalinisateur manuel de survie qui fabrique 0.8 litre par heure en pompant manuellement plusieurs fois par minute. Il est dans le sac de survie qu'on embarquerait dans le radeau.
Les enfants ont demandés pour la première fois quand est-ce qu'on arriverait. Je leur ai répondu: "Dans une semaine environ". Ils ont dit: "Ah! ça va, ce n'est plus très long." Pour cela c'est magnifique de voir leur patience et leur adaptation à ce qu'ils vivent. On remarque que pour nous c'est des fois plus difficile. A demain. Delphine
Jour 13, 149 miles parcourus les dernières 24 heures. Position le 31 mai à 17h50 UTC 8°58'175 S 124°45'835 W
La moyenne remonte car Huaras a remit le gennaker au milieu de la nuit. Comme la mer se calme un peu le matin venu, on remet le spi dans la matinée. Décidément on sort toute la garde-robe d'Oniva en essayant d'optimiser au maximum son allure. Les voiles de portant sont douces sur le hauban malade, donc, on ne s'en prive pas. Huaras remonte en haut du mât pour mettre un serre-joint autour du câble de hauban défectueux pour que le toron cassé ne glisse pas. Il commence à avoir l'habitude de se faire hisser à plus de 15 mètre au-dessus du bateau dans la houle. En fait, cette trans-pac ressemble plus à une destination mer-montagne. Huaras n'a plus fait de grimpe aussi intensivement que depuis notre départ des Galapagos. Longueur en tête, moulinettes, tout y passe. Très vertical la grande croisière à la voile, en fait...
On a repris de la motivation car maintenant on n'est "plus qu'à 1000 miles" des Marquises. C'est le dernier tiers, espérons qu'il sera le meilleur, car jusqu'à présent cette traversée n'avait rien d'une croisière tranquille. Forte houle croisée et nuits sans lune. L'obscurité est difficile à supporter lorsque l'on déplace un gros truc de 15 tonnes en plastique à la force du vent. Alors, on prie et on espère que tout se passe bien. Comme est écrit sur une pancarte plantée dans la pelouse à l'entrée du Collège Saint-Michel à Fribourg: "C'est la nuit qu'il est doux de croire à la lumière." Cette maxime catho reflète tout à fait l'idée fixe des Réformés du bout du lac. Leur Post Tenebras Lux sous-entend également une légère phobie de l'obscurité. Qu'elle soit d'origine religieuse ou un avatar de l'Escalade, l'idée genevoise de penser qu'avec l'aube nouvelle les choses vont s'améliorer est en soi assez compréhensible. A 8H00 on aperçoit notre premier bateau depuis le départ d'Isabela il y a 13 jours. C'est un cargo chinois qui transporte des voitures. Il passe à 6 miles de nous et on note le MMSI, qui est l'identifiant pour l'appel radio, au cas où! Des voitures, pensez-donc, quelle inutilité!
Pas une route à moins de 1500 km d'ici. Nous aimerions remercier nos amis du catamaran Nomadeus qui se trouvent environ une journée devant nous et avec qui on échange des mails quotidiens. Jérôme, le capitaine, nous a bien conseillsé dans la façon de réagir face à ce hauban défectueux. Car il a déjà vécu cela et a des années de régate à son actif. N'oublions pas notre fidéle ami Marc, qui nous envoie aussi de précieux messages et conseils. C'est aussi grâce à lui que vous pouvez nous lire car il met nos mails quotidiens en ligne sur notre site. Merci aussi au Papa de Delphine qui chaque matin nous envoie un bulletin météo qui complète bien les fichiers de vents que nous pouvons capter avec notre téléphone satellite. Merci à vous tous!
Ce matin on se réveille tôt au lever du soleil. Trouvant que c'est un peu tôt, je réalise soudain qu'il est temps à nouveau de reculer nos montres. En effet la dernière fois on l'avait fait il y a plus de 20° de longitude. On ne voudrait pas quand même subir un décalage horaire en arrivant en bateau au Marquises! Sinon la journée s'écoule tranquillement entre lecture, parties d'échec, gymnastique, réglage des voiles et un film en fin de journée pour les enfants. Il me semble qu'au fur et à mesure qu'on avance le temps passe plus vite, à moins que cela ne soit notre rythme qui ralentisse avec le surcroît de fatigue. Depuis qu'on est parti chaque jour on voit des oiseaux. Comme ils sont curieux de nature, ils viennent toujours faire quelques tours du bateau puis repartent. C'est incroyable si loin des côtes. Le soir la lune refait son apparition avec un mince croissant, après plusieurs nuits sans lune. Post Tenebras Lux, je vous l'avais bien dit. A demain. Delphine et Huaras
Jour 14, 171 miles de parcourus les dernières 24 heures. Position le 1er juin à 18h10 UTC : 9°13'45 S 127°41'94 W
La moyenne remonte bien avec le parasailor qu'on a remis depuis 2 jours, depuis que la mer est moins croisée et moins forte. Aujourd'hui c'est la journée poisson. D'abord au réveil on trouve un joli poisson volant dans le cockpit. Tim, encore en pyjama, s'empresse de saisir sa canne et de jouer à la pêche avec. Beurk! C'est une vision peu engageante pour moi au réveil.
Ensuite sitôt le petit-déjeuner terminé, Huaras met les cannes à l'eau et 1/2 heure après un jeune espadon de 1.20 m mord la ligne. Voilà une taille plus raisonnable que celui d'il y a 2 jours. On est un peu trop hésitant dans la manoeuvre de remontée du poisson sur la jupe arrière du bateau. Alors une vague un peu plus grosse que les autres le fait bouger et la ligne casse! Zut, encore une fois! Très déçue, je décide de fabriquer nos propres leurres avec un fil en métal plutôt que d'employer ceux déjà tout prêts qu'on a achetés. Et cet fois-ci je mets en plus deux hameçons par leurre. Là ça va être du solide. Quelque temps plus tard, au même moment: le coup du roi. Les moulinets des cannes crépitent et on attrape deux dorades coryphènes. Elles ne lâchent pas cette fois-ci, c'est le métier qui rentre on dirait! "Directement du producteur au consommateur" comme le dit si bien notre ami Jérôme de Nomadeus à un jour de navigation devant nous. Et labellisées bio, en plus. Voici nos repas tout prévus pour les 2 ou 3 prochains jours. Le soir les garçons se délectent en les mangeant en bâtonnets panés. Estelle est plus reluctante. Quand je félicite Tim pour son bel appétit, une fois n'est pas coutume, il me dit qu'il en a mangé beaucoup pour qu'on puisse vite refaire de la pêche!
L'après-midi je demande aux enfants ce qu'ils aimeraient faire et ils me répondent: "Des biscuits de Noël, comme ceux que fait Grand-Maman!". Ben tient, je n'y aurais pas pensé au mois de mai à 30° C à l'ombre. Mais pourquoi pas finalement, en plus j'ai la recette. Et nous voilà occupés pour un bon moment à enfourner plaques après plaques. Odeur de pâtisserie dans tout le bateau. A demain. Delphine
Jour 15, 162 miles parcourus les dernières 24 heures. Position le 2 juin à 17h50 UTC 9°41'64 S 130°18'20 W
C'est le 4ème jour qu'on a le Parasailor, mais à 14h on l'enlève car le ciel est chargé, il y a des grains avec des rafales. On remet le génois et 3 ris, car avec 2 ris le gréement bouge trop pour notre hauban dans cette mer toujours croisée mais un peu moins forte. Sous un gros nuage noir on a même une rafale à 28 noeuds, il était temps de changer de voile. Chaque changement de voile prend vite du temps, facilement 1/2 à 1 heure jusqu'à ce que tout soit rangé et les voiles bien réglées. Alors il faut être sûr de son coup.
La journée se passe tranquillement selon la petite routine qui maintenant s'est établie. Matin lecture en anglais pour Nils et petite école pour Estelle et parfois Tim (quand il reste en place). Mails et météo pour Delphine. Puis parties d'échecs pour Nils, Estelle et Huaras. Cuisine, pêche, histoires, sieste et voilà le soleil commence déjà à se coucher. Cette fois-ci on commence à penser à l'arrivée aux Marquises. Plus que 4 jours à peine et moins de 600 miles. On regarde les mouillages sur les cartes électroniques. Notre arrivée se fera à la baie des Vierges sur l'île de Fatu Hiva, l'île la plus au sud des Marquises. Des bato-copains déjà arrivés nous confirment les superbes descriptions que nous avons lues dans de nombreux récits de navigateurs. On se réjouit car on commence à accumuler ne certaine fatigue avec le bruit du sillage, les mouvements perpétuels du bateau et les nombreux réveils nocturnes. Les enfants eux dorment très bien et ne se réveillent jamais durant la nuit. Ils ne semblent pas être fatigués.
A bord on utilise presque exclusivement les cartes électroniques avec le GPS intégré qui nous donne la position exacte du bateau. Cela permet un gain de place et de poids considérable par rapport aux cartes papiers, vestiges d'une époque désormais révolue. Nous avons 2 systèmes différents (Navionics, Open CPN) que nous comparons afin d'avoir le maximum d'information. Nous avons un traceur au poste de barre, 2 ordinateurs que nous utilisons rarement et 2 Ipad très pratiques lorsqu'on arrive dans des zones délicates, car on peut les prendre avec soi à l'avant du bateau ou sur le rouf pour avoir une meilleure vision. Pour compléter ces cartes qui peuvent avoir des lacunes ou des imprécisions, nous avons pour la plupart des zones visitées, des guides nautiques qui détaillent les mouillages principaux. Mais avant tout 2 paires de bons yeux avec lunettes polarisées sont la meilleure sécurité.
Nous consultons aussi régulièrement le site internet www.noonsite.com qui donne les dernières infos sur les formalités, les ports et la sécurité des pays visités. Pour les visites à terre nous lisons des guides touristiques du type Lonely planet, Géo ou Petit Futé. Nous lisons aussi quelques blogs de navigateurs dont certains sont de véritables guides de voyage. Les photos de Google Earth lorsque nous avons une bonne connexion, nous permettent aussi d'avoir une idée précise de la topographie des lieux à l'avance et nous donnent souvent des idées supplémentaires de mouillages et de découvertes peu connues. A demain. Delphine
Jour 16, 160 miles parcourus les dernières 24 heures Position le 3 juin à 18h15 UTC 9°54'24 S 133°00'30 W
Déjà 16 jours de navigation, 2600 miles (4800km) et 42° de longitude et 9° de latitude de parcourus. Sur un globe terrestre cela commence même à faire un trajet bien visible. Il nous reste encore 2 bonnes journées de navigation avant d'atteindre Fatu Hiva. On a hâte de voir si ce qu'en disait Brel est vrai. On s'impatiente de voir si les femmes sont réellement lascives au soleil redouté; si la mer se déchire sur des rochers qui prirent des prénoms affolés; si la pluie est vraiment traversière et bat de grains en grains de vieux chevaux blancs qui fredonnent Gaugin; et si, même s'il n'y a pas d'hiver cela n'est pas l'été. De toute façon, on est tous d'accord que, certainement, le temps s'immobilise, aux Marquises.
Cette nuit à 1h00 du matin, on a dû descendre le Parasailor, car le vent forcissait à 23-25 nds. On commençait à faire de beaux surfs. Les manoeuvres de nuit sont toujours un peu plus stressantes. On l'a remplacé par le génois seul qui nous a permis de finir plus paisiblement la nuit avec une moyenne d'environ 6 nds, ce qui est déjà pas mal avec la voile d'avant seule.
Heureusement que l'on tient un journal car sinon tout finirait par se confondre, tant notre horizon varie peu. La seule chose qui change c'est le cours du soleil, la forme des nuages lorsqu'il y en a et la hauteur des vagues. Ah! Bon que ça? Non, en fait il y a aussi les oiseaux, chaque journée de la traversée on en a vu, nous n'avons pas de tels souvenirs lors de la transat. A chaque fois on se demande comment ils font pour être si loin des terres et l'on est admiratif. Ils viennent vers nous, tournent quelques fois autour du bateau et repartent. Ce matin une frégate était très intéressée par nos leurres qu'elle voyait en transparence dans l'eau. On a hésité à remonter les cannes, car cela ne nous disait rien de pêcher un oiseau aussi marin soit-il. Nous ne sommes pas encore si affamés que ça. Mais elle connaît son affaire et a vite vu que ce n'était pas des vrais calamars. Bien sûr on a aussi des visiteurs, mais plutôt calmes ceux-là. Chaque matin on fait la récolte des poissons volants et des petits calamars qui ont été projetés par les vagues durant la nuit.
Nous avons pu contacter un atelier de réparation sur l'île principale des Marquises et apparemment ils pourraient effectuer la réparation nécessaire sur le hauban. Encore faut-il avoir les pièces nécessaires. Merci aux amis déjà sur place de nous avoir transmis l'adresse de Yacht Services Nuku Hiva.
L'après-midi pour donner du courage aux troupes, je me suis lancée dans la confection d'une Charlotte au chocolat. Estelle a dit que c'était un merveilleux gâteau avec un si joli nom. Nils commence à bien s'améliorer aux échecs, tandis que Tim et Estelle adorent jouer au jeu de l'oie.
Notre balise spot ne fonctionne plus. Marc va essayer de faire un tracé avec les point GPS quotidien envoyé. Merci à lui! Enfin, depuis quelques heures, la houle s'est bien orientée, ce n'est pas trop tôt. Nous savons d'après les prévisions envoyées par nos différents routeurs tous plus sympathiques les uns que les autres, que cette heureuse situation ne va pas durer. Alors, on en profite. A demain. Huaras et Delphine
Jour 17, 154 miles parcourus les dernières 24 heures Position le 4 juin à 18h25 UTC 10°1'28 S 135°39'09 W
Ce matin la grosse houle de 3 mètres est revenue, elle déferle par moments car le vent depuis la nuit passée est fort, 24-25 nds de moyenne avec des pointes à 30 nds. Il ne descend pas en dessous de 20 nds. Alors on continuera avec le génois seul durant les prochaines 24 heures. On n'ose pas mettre la grand voile avec deux ou 3 ris, car le vent vient trop de l'arrière et elle déventerait le génois. Cette houle est fatigante et elle commence à nous lasser.
Une frégate était très intéressée par les appâts au bout de nos cannes à pêche. On a bien cru qu'elle allait piquer sur l'un deux car elle n'arrêtait pas durant une dizaine de minutes de frôler l'eau juste où ils se trouvaient. Alors ça non, on ne voudrait pas pêcher des oiseaux maintenant. Heureusement elle voit finalement que les appâts sont trop roses pour être vrais et elle s'en va vers d'autres horizons.
Ensuite un moulinet s'est mis à crépiter très rapidement, un gros poisson a mordu la ligne. De nouveau un espadon de 1.5 mètres. Décidément ils aiment nos leurres. Il n'est pas très combatif et comme il n'est pas trop gros, on décide de le ramener à bord, histoire de refaire le stock de poisson pour l'arrivée. On le fatigue un moment, puis on essaie une nouvelle technique, car on pense qu'il sera trop lourd de le ramener juste avec la canne. Huaras prend son fusil de chasse sous-marine tout neuf et le vise. Ainsi nous aurons plus de force et de prises pour le ramener à bord. Mais le vent est fort et cela tire beaucoup. Soudain ce sont les hameçons qui s'ouvrent, le poisson se décroche de la canne et casse la ficelle qui retient la flèche au fusil en emportant la flèche. On l'a raté, on est très déçu d'avoir gâcher une belle bête comme ce poisson. Nos leurres sont pourtant faits pour les dorades et ces fichus espadons n'arrêtent pas de les mordre.
Ne voulant pas se laisser abattre, on décide de s'offrir un petit apéritif, dérogeant, une fois n'est pas coutume, à la règle de "bateau-sans-alcool en traversée". On ouvre une des dernières bouteilles de notre cave avec des petits toasts et un bloc de foie gras acheté il y a 7 mois en Martinique. Et c'est pop-corn party pour les enfants. Au coucher du soleil, c'est sympa! Ensuite, lors de notre moment "étoiles", toute la famille sur la banquette au poste de barre, on observe une magnifique étoile filante à la trajectoire très horizontale qui dure plusieurs secondes. Une des plus belles qu'on ait vue.
On a encore reculé nos montres d'une heure. Au fait, avec tous les préparations pour la traversée, on a oublié de paranoïer sur les éventuelles rages de dents, d'appendicites probables et autres trucs sympa qui pourraient sans crier gare rendre la croisière un peu plus pimentée. Tant mieux. De toute façon, vu les médicaments du bord, on est prêt pour ouvrir un hôpital de campagne... Ou de mer. Un hôpital de mer. Pas mal ça comme concept. Le Pacifique? C'est grand. Une autre dimension d'avec la mer des Caraïbes, voir même de l'Atlantique. Avez-vu le film "Super Size Me"? L'histoire du gars qui se fait gonfler en mangeant les grosses portions proposées par les restaurants fast food pour voir l'effet à court terme et finit à l'hosto très rapidement... Le Pacifique est un peu comme ça: super size! Tout est plus grand. Les traversées, les vagues, la houle, les oiseaux, les poissons. Surtout les poissons. Pas moyen d'avoir un truc en dessous du mètre. Le comble. Intérêt à aimer manger du poisson.
Demain c'est notre dernier jour. Youpie! On arrive bientôt à la baie des Vierges sur Fatu Hiva. Rebaptisée ainsi plus pudiquement pas les missionnaires. Le mythe du bon sauvage est encore vivace... Bye, bye. Huaras et Delphine
Jour 18, mercredi 4 juin, 170 miles de parcourus les dernières 24 heures
L'impatience et l'excitation monte à bord d'Oniva. C'est notre dernière journée de traversée. Demain en se réveillant, si nos GPS sont justes, on sera en vue de Fatu Hiva, l'île la plus au sud des Marquises. Notre but, tant attendu, calculé, visé, espéré jour après jour. C'est un peu comme les dernières foulées d'un marathon ou comme la dernière longueur d'une voie parsemée de difficultés, de surprises, d'imprévus. On s'active, on se croit arrivé, mais attention ce n'est pas le moment de trébucher, de lâcher prise, de faire une gaffe. Il faut rester vigilant, ne pas vendre la peau de l'ours avant de l'avoir tué, ou plutôt dans notre cas, ne pas faire de la place dans le congél. avant d'avoir remonté le poisson à bord!
En parlant de poisson, aujourd'hui encore on en a loupé un beau, une grosse dorade coryphène cette fois-ci, personne n'était attentif et la bête en a profité pour dérouler tout le moulinet sur 300 mètres avant qu'on s'en aperçoive! Le bateau filant à plus de 8 noeuds avec le Parasailor, autant dire qu'il fut impossible de la ramener à bord avant que la coquine ne se décroche. Sapristi, dans ce domaine on n'a vraiment pas de bol. Il va falloir qu'on affine la technique et surtout qu'on trouve du matériel plus solide à la dimension des poissons du Pacifique qui semblent plus nombreux et plus balaises que leurs cousins de l'Atlantique. C'est promis le prochain magasin de pêche qu'on rencontre, on y fait une razzia.
Il fait très beau, pas un nuage, mais par contre la houle est sérieuse, un bon 3 mètres, mais venant de l'arrière, alors c'est plus gérable, sauf lorsque ça part en surf et que les secousses menacent de tout mettre par terre. Dans ces conditions, un cata ça ne gite pas comme un monocoque, mais ça secoue, ça vrombit dans le tunnel entre les 2 coques. A vous de choisir! Pour la première fois les enfants montrent des signes de fatigue et d'impatience, il est temps qu'on arrive et qu'on aille se dégourdir les jambes à terre. On renfourne une série de biscuits de Noël, car cela occupe un moment, ça rallie tous les suffrages et adoucit les esprits. Bon on est fatigué, on va aller se coucher et demain en se réveillant on espère voir la terre, avec des arbres, des fleurs, des gens, avec tout quoi! A demain Delphine
On voit la TERRE!!! Youpie. On es.t bientôt arrivé. Il nous reste 31 miles à parcourir. A ce moment-là, notre position le jeudi 5 juin il est 15h54 UTC 10°17'38 S 136°54'30 W, pour nous il est 6h54.
Le soleil s'est levé depuis 10 minutes. Les enfants viennent de se réveiller de sortir de leur cabine, Delphine ouvre un oeil sur la banquette dans le carré et Huaras à la barre avec les jumelles crie TEEEEEEERRE!!!! Des exclamations de joies fusent dans tous les sens, on est tellement content. Enfin on arrive. Youpie! On a traversé le Pacifique! Delphine est très émue et soulagée qu'on arrive sans trop de problèmes et que tout se soit bien passé avec les enfants. Le Capitaine est apaisé de voire qu'il a mené sa famille à travers l'océan avec succès. C'est un grand moment, une étape mémorable.
Combien de fois nous nous sommes demandé si nous pourrions le faire, si cela était raisonnable, si nous en aurions le courage. Mais depuis que nous avions franchi le canal de Panama, nous ne nous étions plus posé la question, c'était une évidence et nous n'avions plus de craintes.
On demande alors aux enfants ce qu'ils vont faire en premier quand on sera arrivé: Nils: Je vais aller courir sur la plage, prendre mon arc et ma catapulte et tirer des flèches et des cailloux. Ensuite j'aimerais bien qu'on fasse un feu. Regarde j'ai déjà préparé mon sac avec mes affaires. Tim: Moi aussi je veux courir à fond les manettes puis j'aimerais faire un feu, un gros feu, jouer au sable et me baigner. Estelle: J'aimerais faire de la trottinette et voire des biches. Et Huaras: Aller se promener tranquillement sous les arbres. Quant à Delphine: Faire un plongeon dans cette belle eau qui nous a entourée depuis plus de 2 semaines, puis se balader au milieu des fleurs.
Avant le déjeuner, on remet le Parasailor pour gagner quelques noeuds de vitesse. On constate qu'il nous reste encore beaucoup de produits frais: 6 pommes, 12 pamplemousses, 15 citrons, 10 carottes, 10 oignons, 1 chou, des cives, 6 bananes plantains, 3 poivrons, 2 courges et de la viande, du poisson, du jambon et du fromage. Le scorbut est encore loin de nous guetter et nous pourrions presque ouvrir un magasin de fruits et légumes en arrivant!
On aura traversé des Galapagos aux Marquises en 18 jours et 4 heures malgré notre avarie de hauban. Au départ, de nature modeste, on pensait mettre environ 21 à 22 jours. Nous avons eu plus de vent et surtout plus de vagues que prévu d'où les 18 jours et d'où l'avarie. 2944 miles sur notre GPS, 38° degré de longitude et 10° de latitude, une moyenne de 162 miles par jour (= 300km), soit 6.75 noeuds de moyenne par heure (= 12.5 km/h). Pousser sa maison avec le vent à cette vitesse sur une aussi longue traversée, c'est réellement particulier.
Désormais, le Pacifique jusqu'en Australie ne sera plus que sauts de puces. Certaines puces auront tout de même environ 800 miles à franchir, mais la plupart ne seront distantes que de deux ou trois jours de navigation. Autant dire qu'une fois notre hauban réparé et qu'avec notre équipage de bébés transocéaniques amarinés, ce devrait être du gâteau. Restons modeste. Une île après l'autre. A voir ce qui reste devant, il y en a encore pas mal. Les Tuamotus, la Polynésie, les Cooks, les Tongas, les Fidji, etc..., etc... pas de quoi encore s'ennuyer.
Un grand merci à notre copain Marc pour avoir fait du presque instantané. Grâce à lui, les nouvelles arrivaient sur notre site tous les jours. Malgré une panne de balise Spot, il a manuellement palié à ce petit problème pour que notre site puisse toute de même contenir notre position et notre avancement au jour le jour. Un grand merci à Marc.
La bouteille de champagne est au frais et bientôt on pourra la déguster à plat sans bruit et sans mouvement. A notre santé et à la vôtre aussi! Merci de nous avoir suivis. Les photos suivent dans l'onglet suivant.
Delphine, Huaras, Nils, Tim et Estelle
Le bateau est en bon état et les cales sont pleines. Nous avons fait le plein à Panama de livres et de jeux, les enfants ne devraient donc pas trop s'ennuyer.Quant aux parents, ils ne s'ennuieront certainement pas non plus entre les quarts et toutes les autres tâches quotidiennes à accomplir pour mener la barque à destination. Nous allons compter aussi sur la fiabilité de nos alarmes radar et AIS pour nous soulager un peu durant les quarts de nuit, car contrairement à la transat, nous avons choisi de ne pas prendre d'équipier pour cette traversée, les enfants étant plus grands maintenant.
Nous ferons un point matin et soir avec notre balise spot (cf lien en page d'accueil) permettant ainsi de visualiser notre progression.
Sur cette page-ci, notre ami Marc mettra le mail quotidien que nous lui enverrons par téléphone satellite racontant notre vie à bord tout au long de cette traversée de 3000 miles (5500 km) qui durera un peu plus de 3 semaines.
Jour 1: 19 mai 2014, Position 02°37'00S et 92° 45'38W à 16:00 UTC, 146 miles parcourus.
24 heures que nous sommes partis de Puerto Villamil sur l'île d'Isabela après avoir dit au revoir aux amis que l'on espère retrouver de l'autre côté. 3000 miles nautiques, c'est pas rien! 5500 kilomètres. A l'échelle de l'Europe, même en voiture, faut se lever tôt. Alors, en transportant sa maison, c'est quelque chose... Nous faisons cap au sud-ouest pour profiter du courant qui pousse dans cette direction à 1.5 nds. Lorsque nous aurons atteint le 5ème parallèle dans deux jours,nous virerons plein ouest. La houle venant du sud rend la navigation peu confortable. Nos estomacs sont un peu perturbés car nous ne sommes plus très amarinés avec ces longues escales aux Galapagos. On espère que dans quelques jours, lorsque le vent sera mieux orienté, le confort s'améliorera.
Les enfants sont en pleine forme. Nils et Estelle ont déjà fait une partie d'échec ce matin. Ils adorent ce jeu et commencent à bien se débrouiller. Tim est au poste canne à pêche, mais nous avons mis un bouchon à la place de l'hameçon car pour l'instant Delphine n'a pas l'envie de faire poissonnerie car nous avons encore beaucoup de poisson dans le congélateur. En effet, l'autre jour nous avions pêché un wahoo (tazard) de 25kg et de 1.40m. Mais pour Tim cela ne fait pas grande différence, car ce qu'il aime surtout c'est enrouler puis dévider la bobine. Nous avons vu quelques dauphins sauter au large et des oiseaux nous ont accompagnés toutes la nuit. Le vent forcit à 18-20 nds maintenant que nous nous éloignons des îles, nous avons pris 2 ris pour ménager le gréement. Voilà pour les news, alors "à demain si vous le voulez bien!"
Jour 2: 20 mai 2014, Position 3°52'61S et 95°03'45W, 163 miles de parcourus les dernières 24 heures.
On a fait une belle avancée. La journée a été difficile surtout pour Nils et Delphine, car les vagues étaient assez désordonnées et venant de 3/4 avant. Mais c'est un mauvais moment à passer, nécessaire pour rejoindre le 5ème parallèle sud où les courants sont portants vers l'ouest. Tim et Estelle jouaient comme si on était au mouillage. La nuit précédente on a croisé 2 bateaux de pêche peu visibles au radar. Mais depuis on n'a plus vu aucun bateau. Nos amis de Nomadeus ne sont pas très loin, mais ils ont pris une route plus au nord à cause des mauvaises conditions de vagues. En effet, c'est rarement le vent qui pose problème, mais plus l'état de la mer et surtout comment le bateau est orienté par rapport au vagues qui va déterminer le confort à bord. En fin d'après-midi nous avons eu droit à un ballet d'une trentaine de gros dauphins qui sautaient dans toutes les directions. Certains faisaient même des sauts périlleux. Nous n'avions jamais vu encore des dauphins faire de si hauts sauts.
Ce matin après la 2ème nuit, nous avons trouvés 13 poissons volants. Il y en avait partout. Tim était très content et me demandait d'en faire des accras dont il raffole(boulettes de poissons que l'on frit), mais venant juste de me réveiller, rien que l'idée, me souleva le coeur. On remettra ce projet culinaire à plus tard! Alors Huaras muni de son seau et de son balais n'a pas tardé à frotter le pont. C'est fou l'énergie qu'il a, alors qu'il n'a que peut dormi cette nuit à cause des vagues. On vient de mettre le gennaker car le vent a faibli et les vagues ont un peu diminué.
Jour 3: 21 mai 2014, Position: 4°47'13 S 97°45'21 W à 15 UTC. Parcouru 172 miles les dernières 24h.
Beau temps, sec (ce qui est rare en mer) et chaud. Les alizés se sont bien installés. Une grosse houle venant du sud-sud-est nous rend la vie à bord un peu difficile. Cela bouge dans tous les sens et parfois une vague plus grosse que les autres nous éclabousse. On file à 8 nds avec 2 ris. On pourrait aller beaucoup plus vite mais on ne veut pas trop forcer sur le matériel afin d'arriver sans casse. D'autre part il faut que l'allure reste confortable pour que les enfants puissent encore jouer et nous laisser nous reposer à tour de rôle. On a croisé à 6 miles de nous un cargo allant du Chili au Mexique. On espère que cela sera le dernier.
Nos amis de Nomadeus sont passés devant, ils sont un peu plus rapides car ils ont un bateau plus grand. 48 pieds, c'est le mètre en plus... Chez les navigateurs, c'est toujours la grande question: ais-je pris assez grand? 4 pieds de plus, c'est 10 % en plus, donc environ 10 % de vitesse en plus aussi. Eux filent à 10 noeuds, nous à 8-9. De plus, la différence provient aussi de l'équipage. En équipage réduit (couple avec enfants en bas âge) on met le frein à main la nuit. Nous, on vise la cible des 6.5 noeuds la nuit. C'est tout et bien suffisant avec ces nuits sans lune avant 1 heure du matin. Hier dans la journée le vent a faibli à 15 nds et on a pu mettre le gennaker. La moyenne sur 24 heures fut boostée d'autant. On est pas très chiffres, mais il semble que 172 miles/24 est notre meilleure moyenne so far. C'est bien.
On a retrouvé l'appétit et le soir c'est un poulet au curry qui a embaumé le cockpit, le "poulet jaune" est le plat favori des enfants. Merci le congélateur qui nous permet de varier l'ordinaire. Par contre, en terme d'avitaillement le "timing" était assez mauvais. Le samedi 17, la veille de notre départ, nous sommes allés dans une ferme pour cueillir des fruits et légumes frais. Mais après les pluies importantes de la semaine précédente et les passages de nombreux équipages avant nous, il ne restaient plus rien à part des bananes, des citrons, des oranges, des ananas et quelques épices. Alors nous avons quand même cueilli 3 régimes de bananes différentes qui vont être notre alimentation de base durant ces trois prochaines semaines.
Trouvant le choix un peu maigre, en rentrant de la ferme on a encore fait le tour des épiceries, mais là aussi presque plus rien. Finalement on déniche quelques pommes, poires et carottes. Trouvant cela un peu étrange, je finis par demander à un épicier pourquoi il n'y a plus rien sur les étalages ? Celui-ci me dit que le bateau hebdomadaire qui livre l'île en produits frais n'est pas arrivé cette semaine. On apprendra par la suite par l'équipage du bateau-ami "Parenthèse" que le dit bateau s'est échoué sur un récif à l'entrée du port de l'île de Santa Cruz. Un vrai pro le capitaine, 30 ans qu'il naviguait sur cette ligne... Borracho? à voir... Bon,on se résigne et on se dit qu'une cure de bananes et d'oranges ne nous fera pas de mal. En plus on a quelques délicieuses boîtes de conserves! Quelle n'est pas notre surprise en partant du mouillage pour débuter la traversée de voir un petit bateau de pêche déchargeant ce qu'ils ont pu sauver de la cargaison de produits frais du bateau échoué. Trop tard, on ne veut pas faire demi-tour pour quelques brocolis et quelques tomates. On se débrouillera comme ça.
Jour 4: 22 mai 2014, Position 5°29'73 S 101°24'80 W à 19h30 UTC, 190 miles parcourus les dernières 24h.
Nous avons battu notre record de distance en 24h et n'avons pas cherché à le faire ayant pris 2 ris dans la grand-voile et le foc légèrement enroulé. Une houle de 3 mètres nous pousse par 3/4 arrière ainsi qu'un courant de 1,5 nd portant et 20 à 25 nds de vent donnent des conditions idéales pour avancer vite. Mais le bateau bouge beaucoup et cela n'est pas très confortable. Il fait beau: air 27°C et eau 28°C. La visibilité est très bonne. Le matin au lever du jour, 75 % d'humidité ambiante, ce qui est tout à fait raisonnable en navigation. Le bateau n'est pas moite comme durant certaines traversées. L'alizé est bien là. Beau et fort. La vie à bord est un peu ralentie, car tout a une fâcheuse tendance à vouloir finir par terre, nous y compris.
Qui disait que sur un cata on restait bien à plat? J'en viens presque à envier certains (bons) monocoques qui, dans ces conditions de houle mal pavée, resteraient plus placides que notre plateforme de 90 m2 en polyester. Mais les enfants ne semblent pas perturbés dans leurs jeux. Nils et Estelle ont même remis une partie d'échec, heureusement que les pions sont aimantés. Tim affute ses stratégies de pêche et maintenant il fabrique des appâts avec des feuilles d'ananas. Les espadons n'ont qu'à bien se tenir! Comme tous les matins on a fait la cueillette des poissons volants. Il y en avait 13 et quelques autres ont fini leur trajectoire sur le pont durant la journée. Nous n'en n'avons jamais vu autant, ça saute de partout. On a vu aussi des grands splashs au loin, probablement des espadons en train de chasser. Même un petit calamar a atterri sur une des jupes. J'ai vu ses beaux yeux trop tard pour le réanimer. Il était déjà un peu sec.
L'après-midi, pour ouvrir les appétits d'oiseaux de Tim et Estelle, j'ai fait des brownies, et ça a été drôlement efficace. Nils a même dit que: "Cette croisière est vraiment bien, un peu comme si on était à l'hôtel. Car les parents essayent tout le temps de nous faire plaisir et nous racontent des histoires ou jouent avec nous dès qu'on en a envie. En plus Maman fait nos repas préférés. " (Lire spaghettis bolognaise, poulet au curry, bâtonnets de poissons maison, accras, filet de bœuf). Encore une fois merci le congélateur. Equipement qui au départ nous semblait superflu, mais qui, lorsqu'on est à mille lieues d'un supermarché, prend toute son importance. Vous trouverez qu'on ne pense qu'à manger, mais c'est vrai qu'en mer les repas prennent une toute autre importance qu'à terre. On passe beaucoup plus de temps à les préparer dans un univers en perpétuel mouvement souvent désordonné. Cela relève souvent du jonglage.
Jour 5: 23 mai 2014, Position à 17h00 UTC 5°59'45 S 103°58'93 W.
On a parcouru 176 miles les dernières 24 heures. La moyenne est bonne et pour l'instant on avance bien plus vite qu'on ne le pensait. On est toujours à 7 ou 8 nds sans forcer le matériel. Ce matin, on a sorti le gennaker qui nous pousse à 8 nds sans peine. Le courant équatorial de 1 nd nous aide aussi. Il fait beau et sec, même très sec pour se trouver au milieu de l'océan: 42% d'humidité, on doit remettre de la crème et du lipstick, ce qu'on n'avait plus besoin de faire depuis qu'on était arrivé au Panama. C'est signe que l'alizé est bien là en puissance.
L'océan est d'un bleu profond magnifique et nous ne voyons aucun déchet flotter contrairement à la Méditerranée ou à la mer des Caraïbes où cela nous avait beaucoup attristés. D'ailleurs, ce qui nous a aussi beaucoup plu aux Galapagos, c'est que les plages étaient propres contrairement aux îles des Caraïbes. Il faut aller drôlement loin pour être épargné par la pollution. Mais ne soyons pas trop optimistes, car lorsqu'on regarde de plus près la ligne déposée sur le sable par les vagues à marée montante, on voit quand même des micro-morceaux de plastiques de toutes sortes. Malheureusement la pollution s'est aussi globalisée.
Oniva ressemble presque à un cargo bananier. Comme je vous l'avait dit l'approvisionnement à la dernière île était un peu maigre et tout ce qu'il y avait ce n'étaient presque que des bananes. Alors maintenant qu'elles se mettent à mûrir, on en mange à tous les repas. Petit-déjeuner: bananes douces, midi: bananes plantains rôties ou bananes- légumes vertes, aux 4 heures: cake à la banane et au souper: rebananes plantains ou légumes et devinez quoi pour le dessert? Un flan à la banane! Si après tout ça on n'a pas le teint un peu jaune! Mais au moins on fait une cure de magnésium et de tryptophane (un acide aminé jouant un rôle dans le sommeil), c'est peut-être pour cela qu'on dort bien! Si sur google map vous voyez un sillage jaune, c'est celui d'Oniva.
Jour 6, 24 mai, position 6°31'32 S 106°46'70 W à 16h00 UTC. On a parcouru 179 miles ces dernières 24 heures.
C'est très bien. On a déjà fait le tiers de la traversée. Maintenant il ne reste plus que l'équivalent d'une transat (environ 2000 miles = 3700 km)! Autant dire que c'est du gâteau. Le bateau avance bien. On a sorti le gennaker et on a même pu le garder toute la nuit pour la première fois. les conditions sont stables: 17-20 nds de vent du SE et une houle du SE de 2 à 2.5 mètres. En fait, dans cet endroit à cette période, c'est du connu: la vent vient du sud au sud-est entre 15 et 25 noeuds et la houle du grand sud est omniprésente. Faut juste faire attention aux éventuels grains qui ferait s'affoler l'anémomètre mais jusqu'à présent, l'alizé a le dessus. Pas de surprises. On fait parfois des pointes à 10nds lorsqu'une vague plus grosse que les autres nous fait surfer.
En fin de journée on a vu un grand groupe de dauphins sauter haut, faire des bonds majestueux et chasser de tous les côtés du bateau. Tout le monde va bien et pour l'instant on ne manque pas d'occupation. Presque jamais les enfants ne demandent quand on arrive, alors que durant les navigation d'une journée, cette question revient assez souvent. C'est magnifique comme ils peuvent s'adapter vite à leur environnement puis le trouver tout à fait normal comme s'ils n'avaient connu que ça. Tim a juste demandé le 2ème jour quand c'est qu'on arriverait "aux Smarties"? Estelle a renchéri en disant qu'elle espérait que Sohan, le petit copain qu'ils ont connu aux Galapagos et qui navigue deux semaines devant nous, leur laisserait quelques Smarties et qu'il ne les ramasserait pas tous.
Nous avons parcouru plus de 15° de longitude depuis les Galapagos. 15° c'est la grandeur d'un fuseau horaire, alors on a décalé les montres. En fait, naturellement on s'était déjà décalé car on vit depuis longtemps (bientôt 2 ans) au rythme du soleil. Quand il se lève, on se lève. Quand il se couche les enfants vont au lit et nous 2 ou 3 heures après. Cela est parfois comique aux escales, lorsqu'on veut sortir au restaurant et que selon le fuseau horaire et le pays où on se trouve, parfois on aimerait souper à 16h30! Sous les tropiques les nuits sont quasiment aussi longues que les journées avec une variation d'un peu plus d'une heure entre l'hiver et l'été. Aux Galapagos, qui se situent à l'équateur, le soleil se couche très rapidement et la nuit noire s'installe très vite.
Maintenant que les conditions sont bonnes, on a sorti les cannes à pêche. 10 minutes après les avoir mises à l'eau un gros poisson vient de se libérer. On vous redira ce que ça donne.
Jour 7, 25 mai, 164 miles parcourus les dernières 24 heures. Position 6°56'90 S 110°00'95 W à 20h10 UTC le 25 mai.
La journée a commencé par une mer assez calme et régulière.Puis le vent s'est mis à monter jusqu'à 22-25nds au lieu des 15 nds annoncés. On décide malgré tout de garder le gennaker. Mais ça s'est gâté durant la journée avec l'apparition de deux houles croisées, une du sud-est de 2 mètres et une du sud de 3 mètres, le tout avec des courants changeants, cela a donné une belle marmite dans laquelle Oniva s'est bien fait ballotter. Le sommet a été atteint lorsque, à la demande unanime des moussaillons, je me suis lancée dans la cuisson de spaghettis et à ce moment-là on aurait dit qu'il y avait aussi de la houle croisée dans la casserole, je vous laisse imaginer. Demain, c'est promis j'adapterai le repas à l'humeur de la houle et non à celle des moussaillons.
Sur la demande insistante de Tim, on a finalement sorti les cannes à pêche. Trois fois des poissons ont mordu, mais trois fois ils ont décroché. La pêche a donc été remise à plus tard au vu des conditions de vent et mer qui nous font aller trop rapidement pour pouvoir pêcher correctement. L'après-midi c'est la chasse au trésor. Chacun des enfants doit trouver un petit cadeau caché dans le bateau. C'est la fête et comme c'est des livres, on a droit ensuite à un long moment de tranquillité. Ensuite le ballet des dauphins est de retour pour notre plus grand bonheur.
A plus de 1000 miles de toute terre on voit encore quelques oiseaux. A chaque fois ils s'approchent du bateau, en font quelque fois le tour et repartent. Ce soir on s'endort très vite, fatigués par tout ce bruit que font les vagues dans le sillage du bateau et par les mouvements incessants et un peu anarchiques du bateau dans ces conditions.
Vous dites: "on dort" et qui conduit le bateau alors? Eh bien, on le met sous pilote automatique, un appareil qui garde le cap souhaité et barre à notre place. En naviguant en équipage réduit avec 3 jeunes enfants, c'est tellement vital pour nous ce pilote, qu'on en a même fait rajouter un deuxième de rechange, au cas où le premiercasserait. Ok!Ok! Mais qui assure la veille? Alors là c'est plus délicat. Nous n'arriverons pas sur une durée de trois semaines à se relayer pour veiller en permanence, la fatigue serait trop grande. Alors on a fait le choix, qui certes comporte un certain risque, de ne pas veiller une partie de la nuit pour pouvoir récupérer et être disponibles sans trop de fatigue pour les enfants la journée.
Donc le soir l'un de nous va se coucher en même temps que les enfants puis l'autre veille jusqu'à qu'il soit trop fatigué. Ensuite on branche le radar et son alarme et l'alarme AIS. On éclaire aussi les voiles avec le feu de hune pour être bien visible. Huaras et moi dormons dans le carré et/ou le cockpit pour entendre rapidement s'il y a quelques chose qui ne va pas. Notre esprit en alerte fait que naturellement chacun de nous se réveille toutes les 2 heures environ de façon décalée la plupart du temps et fait un tour d'horizon et un contrôle au radar sur 24 miles avant de se rendormir. Cela fait plus de 4 jours que nous n'avons vu aucun bateau. Bien sûr cette façon de faire ne s'applique que pour cette traversée-là dans une zone du monde peu fréquentée, car autrement nous assumons toujours les quarts en veillant. Ah! On se rappelle avec envie du bonheur d'une nuit de sommeil sans interruption. Avant la naissance des jumeaux... A long time ago.
Jour 8 , 188 miles de parcourus les dernière 24 heures. Position le 26 mai à 16h15 UTC : 7°19'38 S 112° 36'81 W
Il y a toujours 18-20 nds de vent et on a laissé le gennaker toute la nuit. Avec une vitesse de 7.8 nds de moyenne, on se voit bien avancer. On va approcher la moitié du parcours, cela nous encourage. Mais le confort à bord n'est toujours pas terrible. La faute à ces deux houles superposées une du sud due aux dépressions des 40èmes et l'autre du sud-est qui est la houle du vent que l'on a. On se résigne et on s'adapte. Pour l'instant on ne peut pas mettre le Parasailor (spinnaker) car le vent ne vient pas encore assez par l'arrière. Cela devrait normalement changer sur la seconde partie de la traversée. On verra. Le matin une grosse averse nous a réveillés, heureusement de courte durée. Bienheureuse, elle a suffi à déssaler le pont et les cordages. Ensuite le soleil est revenu et il a même fait chaud (31°C).
Jusqu'à présent nous n'avons eu que du beau temps, contrairement aux Galapagos où le temps était très changeant. Là-bas, on était encore dans la ZIC (zone de convergence intertropicale). Cette zone est une bande se situant à l'équateur où il y a beaucoup d'humidité, des vents très variables et des grains continuels. C'est pourquoi lorsque nous avons quitté les Galapagos, nous sommes partis assez au sud jusqu'au 5ème parallèle pour sortir de cette zone et surtout rejoindre le courant équatorial poussant à l'ouest et les alizés qui sont des vents secs et réguliers.
Ensuite nous avons fait atelier couture. Moi pour les habits des enfants et Huaras pour le gennaker qui a eu un accro lors d'une manœuvre un peu mouvementée. Ce beau temps nous ravit car pour nous il est aussi signe d'énergie. Avec nos 660 Watts de panneaux solaires, l'idée était d'en faire un bateau autonome, dont l'énergie ainsi produite suffirait à la consommation électrique du bord. Cela est le cas lors des petites traversées et au mouillage lorsqu'il fait beau. Mais lors de cette transpacifique cela n'est pas suffisant. Le pilote automatique fonctionne 24h/24h (non, nous ne lui laissons pas de répit), le radar est utilisé par intermittence et surtout le congélateur en route, font que notre consommation énergétique prend l'ascenseur.
Alors heureusement qu'il y a Mühleberg, notre générateur de 9KWH qui nous dispense les watts manquants. 30 minutes matin et soir suffisent la plupart du temps. Nous sommes partis des Galapagos avec le réservoir de fuel plein et il le sera quasiment encore arrivés aux Marquises. La vie à bord suit son cours et nos bananes mûrissent bien vite... ce qui fait qu'on en mange à tous les repas et même en jus avec des oranges. C'est délicieux. Les enfants vont très bien, mais parfois on voit qu'ils aimeraient bien pouvoir se défouler un peu plus. Alors, lorsque l'excitation monte un peu, on leur fait faire des exercices de gym ou on leur lit une histoire. A demain. Delphine
Jour 9, 171 miles de parcourus les dernières 24 heures. Position le 27 mai à 8h45 UTC 7°57'10 S 115°33'47 W
Aujourd'hui on est à mi-chemin entre les Galapagos et les Marquises. A 20h nous avons parcouru 1460 miles soit 2700 km. Cela fait une moyenne de 7.3 nds soit 175 miles pas jour (324 km). Jusqu'à présent c'est notre meilleure moyenne sur une traversée de plusieurs jours. On réalise le chemin parcouru, mais aussi celui qu'il reste à faire. Cette seconde partie de traversée risque bien d'être plus longue mais certainement plus agréable. En effet les vents et la houle ont l'air de se calmer un peu, de s'orienter plus en direction de l'ouest.
Le matin en voulant envoyer le message du jour, le fil de l'antenne externe du téléphone satellite me reste dans les mains. Plus moyen d'envoyer ou de recevoir des mails. Par contre pour les SMS cela fonctionne. Alors Huaras passera sa matinée à essayer de réparer l'Iridium, le fil est vite remis en place, mais il y a aussi la connexion avec le socle qui est défectueuse. Pour compliquer l'affaire il se trouve que nous sommes depuis 4 jours dans une zone où les satellites sont plus rares et il peut se passer plusieurs heures sans que l'on ne puisse établir de connexion. Bien sûr le Pacifique sud n'est pas un endroit très peuplé donc peu intéressant en terme de couverture. Finalement au moment de déclarer forfait, Huaras réussit enfin à réparer le précieux instrument qui me permet de vous raconter tout cela quasiment en direct.
Côté pêche on a 3 touches qui se décrochent de nouveau. A chaque fois ce sont des cris de joie de la part des enfants: "Poisson, poisson!" suivi d'une grande déception lorsque le-dit poisson se décroche. La faute à notre vitesse très souvent au-dessus de 8 nds, ce qui n'est pas idéal pour la pêche. L'idéal se situant vers 5-6 nds. Au moment où le poisson mord il faudrait pouvoir ralentir le bateau, mais à deux adultes avec le gennaker en place ce n'est pas possible. Déjà en transat à 3 adultes ce n'était pas toujours facile et on allait moins vite, mais là à 2 c'est difficile. Alors tant pis il faut choisir entre pêcher ou avancer. Ce n'est pas si grave on a encore du wahoo dans le congél.
C'était un après-midi pâtisserie, les enfants adorent en faire, ou plutôt me regarder faire puis lécher les bols et les spatules. Moi qui ne connaissait pas une recette avant de partir en bateau, je devient une experte en muffins et cakes en tout genre. C'est un bon moyen d'employer les fruits lorsqu'ils mûrissent tous en même temps comme les bananes en ce moment.
Chaque soir avant d'aller au lit les enfants s'asseyent au poste de barre et on regarde tous ensemble dans la nuit complète le magnifique ciel étoilé en éteignant toutes les lumières. En ce moment on ne voit presque plus la lune la nuit et comme l'air est sec on voit les étoiles jusque très bas sur l'horizon. Parfois on dirait même des feux de mâts de bateaux tellement elles semblent proches. Nous n'avions encore jamais observé en mer un ciel si beau. La voie lactée nous apparaît dans toute sa splendeur. Ces moments-là font partie des moments de grâce du voyage où le temps semble s'être arrêté. Il y a deux nuits en arrière Huaras a vu une étoile filante qui en tombant dans la mer a fait une grande gerbe lumineuse. Difficile pour lui de dire la distance, mais il en a été impressionné.
Jour 10, 132 miles parcourus les dernières 24 heures. Position le 28 mai à 17h UTC 8° 13'50 S 117°40'40 W
La moyenne journalière a sacrément diminué, presque 40 miles de moins que le jour d'avant. Heureusement la mer est devenue plus calme et le vent a diminué car aujourd'hui c'est la journée malchance. En observant le gréement ce matin, Huaras voit qu'une poulie qui tient le Parasailor (spi) est cassée. Il monte alors dans le mât pour la changer. Sympa avec la houle croisée... L'orsqu'il est en haut, il voit aussi que l'un des 3 haubans qui tient le mât a un toron de cassé. Le hauban est fait d'un câble de 14 mm de diamètre constitué d'une vingtaine de torons qui sont des petits câbles tous torsadés ensembles. C'est avec beaucoup d'inquiétude qu'il redescend me l'annoncer.
Au début, on voit tout en noir en se disant que les autres vont aussi lâcher, et que fera-t-on à 1400 miles des Marquises au milieu du Pacifique sans mât? Puis on réfléchit calmement et on se dit que le reste du câble semble encore en bon état et que cela devrait tenir jusqu'aux Marquises si les conditions météo sont clémentes et que l'on fait très attention à ne pas trop solliciter le gréement. Huaras était monté en haut du mât pour tout vérifier avant de débuter la traversée et tout était en ordre. C'est probablement ces huit jours de mer croisée difficile et le vent soutenu qui auront eu raison de ce câble. Il est vrai que les secousses et les chocs étaient parfois forts, même en réduisant bien la voilure. On est qu'à moitié surpris de cette découverte. Car lorsqu'il s'agit de quelques heures de conditions difficiles, le matériel supporte, mais sur la durée cela a été probablement trop, d'autant que le bateau a maintenant déjà 5 ans. Normalement un gréement se change tous les 7-8 ans.
Aux Galapagos, une semaine avant de partir, nous avons revu un catamaran qui avait cassé son mât après 400 miles de traversée vers les Marquises. Il a juste réussi a faire route au moteur jusqu'aux Galapagos avec son plein de fioul. De là, il va devoir refaire le plein, puis retourner au moteur jusqu'au Panama, 900 miles plus loin pour réparer... Avec notre téléphone satellite et son antenne réparée temporairement, on envoie un mail à la fabrique Fountaine-Pajot en France pour lancer la commande d'un hauban de rechange. . On espère que cela ne va pas mettre une éternité à ce qu'on reçoive le nouvel hauban aux Marquises.
Côté assurance, cela sera pour notre pomme, car il y a une grosse franchise, mais cela est un détail. L'apès-midi Huaras remonte au mât pour essayer de le sécuriser avec des cordes au cas ou il lâcherait. Il passe donc des heures en haut du mât à fixer le mieux possible des cordes et des câbles. Exercice sympathique et fort facile à effectuer en mer. Le soir on se dit qu'on a fait le maximum pour sécuriser le tout et prévenir l'avarie grave, la perte du mat et de tout ce qui va avec. C'est très fatigué qu'on se couche en même temps que les enfants.
Autre déconvenue, mais anecdotique celle-ci, Tim a perdu son hameçon préféré qu'on venait de lui offrir car sa ligne a cassé sous le poid d'un trop gros poisson. Mais ça c'est pas grave! On en a plein de rechange. C'est donc la morosité qui a régné durant cette journée. Cette seconde partie de traversée risque d'être plus longue avec un souci en arrière-pensée. Mais on va être très prudent et Huaras va monter chaque jour au mât vérifier l'état du hauban. Avec le Parasailor l'avantage est que les forces sont plus régulières et qu'il y a moins de contraintes brusques qu'avec la grand voile. Question courante des terriens: "Et en mer, vous ne vous ennuyez pas?" A demain. Delphine
Jour 11, 142 miles de parcourus les dernières 24 heures. Position le 29 à 17h00 UTC 8°32'53 S 120°00'00 W.
Nous avons parcouru 1/3 du globe en longitude depuis le méridien de Greenwich. Nous avons gardé le Parasailor la nuit car les conditions étaient tranquilles. La moyenne journalière a bien ralenti car nous réduisons la voilure plus que d'habitude afin de ménager notre hauban défectueux. Bien nous en a pris car cela c'est gâté en soirée et on a eu des rafales jusqu'à 29 nds avec de nombreux grains. Nous avons fait une pointe à 12.8 nds dans un surf avec 3 ris dans la grand-voile et le génois enroulé. Nous sommes restés dans cette configuration pour passer une nuit sûre et calme. Calme relatif car la mer est redevenue croisée avec une houle de 2.5 m. Décidément cette traversée n'est pas de la tarte.
Le matin Huaras remonte en haut du mât pour voir l'état du hauban. Rien n'a changé heureusement. Nous avons reçu plusieurs messages rassurants d'amis concernant notre hauban. Cela nous met du baume au coeur et on se dit qu'on arrivera certainement sans problème aux Marquises. Merci à eux!
Alors la vie normale à bord reprends son cours. Je fais du pain, des petits pains au chocolat et des yaourts car nos réserves de produits frais diminuent. Nils apprend à lire en anglais avec son Papa. Il utilise les mêmes livres que Huaras a utilisés voici 44 ans pour effectuer semblable exercice lors de son séjour en Angleterre. Peter, Jane and Pat the dog. De l'avis du professionnel en pédagogie qu'est depuis devenu Huaras après des très hautes (!) études sur le sujet suivies de plus de 15 ans dans la profession, ces livres n'ont pas pris une ride. Sauf les dessins, peut-être. La pédagogie utilisée est au top. Du bel ouvrage, sans blague. Puis, il y a le jeu d'échec. Pour la première fois de sa vie, Nils a battu son père! C'est le début de l'autonomie de l'enfant. Bientôt, il fera de meilleures pommades que sa mère et résoudra les équations à plusieurs inconnues plus vite que son grand-père. Suivent, les histoires, les dessins...
Depuis qu'on est dans le Pacifique, les bateaux avec enfants à bord se font plus rares que dans les Caraïbes. Si bien que lorsqu'on en voit un on va rapidement à leur rencontre pour que les enfants jouent ensemble. Souvent ce sont plutôt nos enfants qui nous disent: "Des copains, on a vu des copains sur ce bateau!". Mais ce matin on a reçu un mail inhabituel. Une famille allemande a entendu dire par un autre bateau que nous allions arriver aux Marquises d'ici peu et ils nous proposent déjà un rendez-vous dans un mouillage avec une plage pour que nos enfants respectifs puissent jouer ensemble. Animaux sociaux que nous sommes, tous les moyens sont bons pour se rapprocher.
Depuis Panama on assiste vraiment à une migration des bateaux dans la même direction: l'ouest. Si bien qu'on n'arrête pas de revoir et de croiser les mêmes bateaux au fur et à mesure qu'on avance. Ainsi on s'échange des nouvelles des uns et des autres avant même de les avoir revus. C'est un petit monde celui des navigateurs au long court et on fini par rencontrer une variété incroyable de gens. Tous ont des parcours de vie très différents et les différences sociales nous semblent bien moins visibles qu'à terre. Les différences culturelles restent cependant bien marquées selon les pays d'origine. Mais sur un bateau, on est navigateur-voyageur avant tout, quelque soit la taille du bateau ou les différents moyens. Nous aimons beaucoup ce milieu varié, ouvert et enrichissant. Le côté plus difficile de ces rencontres est qu'elles sont souvent éphémères et qu'à chaque fois cela n'est pas évident de se quitter sans savoir si on se reverra un jour. A demain. Delphine
Jour 12, 127 miles de parcourus les dernières 24h. Position le 30 mai à 17h37 UTC 8°52'66 S 122°11'90 W
La moyenne journalière a encore diminué, car on est très prudent avec ce hauban défectueux. On a sécurisé le gréement le mieux possible avec des cordes. On n'a pas envie de finir à la rame. Car il nous reste encore un peu plus de 1000 miles avant les Marquises, soit une bonne semaine. Heureusement si l'on peut dire, le hauban endommagé est du côté sous le vent à tribord, soit le côté où il y a le moins de tension. La mer reste assez désordonnée et le vent a diminué à 15 nds.
Huaras raconte: "Le matin après avoir déjeuné, je mets une canne à pêche à l'eau avec mon meilleur hameçon. Celui que Delphine m'avait offert récemment à Isabela lors de mon anniversaire de mes 28 ans. Un chouette truc en plastique fluo made in China avec des yeux d'anges irrésistibles. Tout à coup, le grand jeu. Un magnifique espadon bleu me fait son show à côté du bateau. Sauts périlleux, marcher sur l'eau sans les mains, le tout, quoi. Un grand, un vrai d'environ 3.5m, plus long que notre annexe! Il parvient même à tirer le fil et à passer sur l'avant du bateau, à nous dépasser. On freine le bateau à 4nds.
Je ne vous dis pas la réaction de Tim. "Je le veux le grand poisson, je le veux vas-y Papa, ramène-le à bord!" Idem pour Delphine. "Je vais te faire de la place dans le congèl!". Moi qui, tout d'abord ne rêve que d'arrêter le congélateur, me vois mal ensuite faire poissonnerie toute la journée avec si un bel animal de x kg... Enfin bref, il est au bout de la canne, donc on tente le coup de le ramener. 15 minutes de belle bataille. Il cherche à plonger. La canne plie dangereusement. Je reprends, il replonge et ainsi de suite. Delphine ayant peur qu'il m'emporte, me met mon gilet et m'attache avec le harnais. Combien de temps cela va-t-il durer? Puis soudain plus de tension au bout le la canne, le vide, notre fil de 60 livres a, comme de bien entendu cassé. Le poisson mange le tout et s'en va dans un grand éclat de rire. Merci à lui pour cette démonstration. Merci à lui de s'être détaché aussi. Quel bel animal. Waaaouh!" On se serait vraiment cru dans le film préféré de Tim: "The Old man and the Sea" d'après le livre d'Ernest Hemingway, sauf que notre barque est un peu plus grande et le poisson un peu plus petit. Le soir on se contentera de délicieux accras faits avec le poisson qu'il nous reste dans le fameux congèl ! Une petite devinette: Quel est la boisson préférée de Tim? Réponse: Le jus de pêche, ah! ah!
Comment se passe la gestion de l'eau à bord d'Oniva? Au départ des Galapagos, on est parti avec les réservoirs de 600 litres pleins. L'eau pour la consommation est mise directement dans des bouteilles et dans un tonneau, ce qui fait environ 70 litres. On fait attention à la consommation en surveillant les enfants lorsqu'ils se lavent les mains et en ne prenant pas de douche tous les jours. Mais comme on ne bouge et transpire pas trop et qu'à bord les enfants se salissent beaucoup moins qu'à terre, cela va très bien. Ensuite pour faire la vaisselle, on a un robinet d'eau de mer pour laver et l'on rince à l'eau douce. Huaras a aussi prévu un système de récupération d'eau de la pluie qui tombe sur le toit. Mais de ce côté, on a à peine eu 10 minutes de pluie depuis le début de la traversée, alors pas de quoi remplir les réservoirs, juste de rincer le sel. Il y a 3 jours lorsque le niveau des réservoirs est descendu à 1/4 et profitant d'une accalmie de la houle, on a fait fonctionner notre déssalinisateur, en une heure on avait fait 200 litres de quoi suffire pour 6-7 jours. Au cas où tout tomberait en panne et qu'il ne pleuvrait pas, nous avons un déssalinisateur manuel de survie qui fabrique 0.8 litre par heure en pompant manuellement plusieurs fois par minute. Il est dans le sac de survie qu'on embarquerait dans le radeau.
Les enfants ont demandés pour la première fois quand est-ce qu'on arriverait. Je leur ai répondu: "Dans une semaine environ". Ils ont dit: "Ah! ça va, ce n'est plus très long." Pour cela c'est magnifique de voir leur patience et leur adaptation à ce qu'ils vivent. On remarque que pour nous c'est des fois plus difficile. A demain. Delphine
Jour 13, 149 miles parcourus les dernières 24 heures. Position le 31 mai à 17h50 UTC 8°58'175 S 124°45'835 W
La moyenne remonte car Huaras a remit le gennaker au milieu de la nuit. Comme la mer se calme un peu le matin venu, on remet le spi dans la matinée. Décidément on sort toute la garde-robe d'Oniva en essayant d'optimiser au maximum son allure. Les voiles de portant sont douces sur le hauban malade, donc, on ne s'en prive pas. Huaras remonte en haut du mât pour mettre un serre-joint autour du câble de hauban défectueux pour que le toron cassé ne glisse pas. Il commence à avoir l'habitude de se faire hisser à plus de 15 mètre au-dessus du bateau dans la houle. En fait, cette trans-pac ressemble plus à une destination mer-montagne. Huaras n'a plus fait de grimpe aussi intensivement que depuis notre départ des Galapagos. Longueur en tête, moulinettes, tout y passe. Très vertical la grande croisière à la voile, en fait...
On a repris de la motivation car maintenant on n'est "plus qu'à 1000 miles" des Marquises. C'est le dernier tiers, espérons qu'il sera le meilleur, car jusqu'à présent cette traversée n'avait rien d'une croisière tranquille. Forte houle croisée et nuits sans lune. L'obscurité est difficile à supporter lorsque l'on déplace un gros truc de 15 tonnes en plastique à la force du vent. Alors, on prie et on espère que tout se passe bien. Comme est écrit sur une pancarte plantée dans la pelouse à l'entrée du Collège Saint-Michel à Fribourg: "C'est la nuit qu'il est doux de croire à la lumière." Cette maxime catho reflète tout à fait l'idée fixe des Réformés du bout du lac. Leur Post Tenebras Lux sous-entend également une légère phobie de l'obscurité. Qu'elle soit d'origine religieuse ou un avatar de l'Escalade, l'idée genevoise de penser qu'avec l'aube nouvelle les choses vont s'améliorer est en soi assez compréhensible. A 8H00 on aperçoit notre premier bateau depuis le départ d'Isabela il y a 13 jours. C'est un cargo chinois qui transporte des voitures. Il passe à 6 miles de nous et on note le MMSI, qui est l'identifiant pour l'appel radio, au cas où! Des voitures, pensez-donc, quelle inutilité!
Pas une route à moins de 1500 km d'ici. Nous aimerions remercier nos amis du catamaran Nomadeus qui se trouvent environ une journée devant nous et avec qui on échange des mails quotidiens. Jérôme, le capitaine, nous a bien conseillsé dans la façon de réagir face à ce hauban défectueux. Car il a déjà vécu cela et a des années de régate à son actif. N'oublions pas notre fidéle ami Marc, qui nous envoie aussi de précieux messages et conseils. C'est aussi grâce à lui que vous pouvez nous lire car il met nos mails quotidiens en ligne sur notre site. Merci aussi au Papa de Delphine qui chaque matin nous envoie un bulletin météo qui complète bien les fichiers de vents que nous pouvons capter avec notre téléphone satellite. Merci à vous tous!
Ce matin on se réveille tôt au lever du soleil. Trouvant que c'est un peu tôt, je réalise soudain qu'il est temps à nouveau de reculer nos montres. En effet la dernière fois on l'avait fait il y a plus de 20° de longitude. On ne voudrait pas quand même subir un décalage horaire en arrivant en bateau au Marquises! Sinon la journée s'écoule tranquillement entre lecture, parties d'échec, gymnastique, réglage des voiles et un film en fin de journée pour les enfants. Il me semble qu'au fur et à mesure qu'on avance le temps passe plus vite, à moins que cela ne soit notre rythme qui ralentisse avec le surcroît de fatigue. Depuis qu'on est parti chaque jour on voit des oiseaux. Comme ils sont curieux de nature, ils viennent toujours faire quelques tours du bateau puis repartent. C'est incroyable si loin des côtes. Le soir la lune refait son apparition avec un mince croissant, après plusieurs nuits sans lune. Post Tenebras Lux, je vous l'avais bien dit. A demain. Delphine et Huaras
Jour 14, 171 miles de parcourus les dernières 24 heures. Position le 1er juin à 18h10 UTC : 9°13'45 S 127°41'94 W
La moyenne remonte bien avec le parasailor qu'on a remis depuis 2 jours, depuis que la mer est moins croisée et moins forte. Aujourd'hui c'est la journée poisson. D'abord au réveil on trouve un joli poisson volant dans le cockpit. Tim, encore en pyjama, s'empresse de saisir sa canne et de jouer à la pêche avec. Beurk! C'est une vision peu engageante pour moi au réveil.
Ensuite sitôt le petit-déjeuner terminé, Huaras met les cannes à l'eau et 1/2 heure après un jeune espadon de 1.20 m mord la ligne. Voilà une taille plus raisonnable que celui d'il y a 2 jours. On est un peu trop hésitant dans la manoeuvre de remontée du poisson sur la jupe arrière du bateau. Alors une vague un peu plus grosse que les autres le fait bouger et la ligne casse! Zut, encore une fois! Très déçue, je décide de fabriquer nos propres leurres avec un fil en métal plutôt que d'employer ceux déjà tout prêts qu'on a achetés. Et cet fois-ci je mets en plus deux hameçons par leurre. Là ça va être du solide. Quelque temps plus tard, au même moment: le coup du roi. Les moulinets des cannes crépitent et on attrape deux dorades coryphènes. Elles ne lâchent pas cette fois-ci, c'est le métier qui rentre on dirait! "Directement du producteur au consommateur" comme le dit si bien notre ami Jérôme de Nomadeus à un jour de navigation devant nous. Et labellisées bio, en plus. Voici nos repas tout prévus pour les 2 ou 3 prochains jours. Le soir les garçons se délectent en les mangeant en bâtonnets panés. Estelle est plus reluctante. Quand je félicite Tim pour son bel appétit, une fois n'est pas coutume, il me dit qu'il en a mangé beaucoup pour qu'on puisse vite refaire de la pêche!
L'après-midi je demande aux enfants ce qu'ils aimeraient faire et ils me répondent: "Des biscuits de Noël, comme ceux que fait Grand-Maman!". Ben tient, je n'y aurais pas pensé au mois de mai à 30° C à l'ombre. Mais pourquoi pas finalement, en plus j'ai la recette. Et nous voilà occupés pour un bon moment à enfourner plaques après plaques. Odeur de pâtisserie dans tout le bateau. A demain. Delphine
Jour 15, 162 miles parcourus les dernières 24 heures. Position le 2 juin à 17h50 UTC 9°41'64 S 130°18'20 W
C'est le 4ème jour qu'on a le Parasailor, mais à 14h on l'enlève car le ciel est chargé, il y a des grains avec des rafales. On remet le génois et 3 ris, car avec 2 ris le gréement bouge trop pour notre hauban dans cette mer toujours croisée mais un peu moins forte. Sous un gros nuage noir on a même une rafale à 28 noeuds, il était temps de changer de voile. Chaque changement de voile prend vite du temps, facilement 1/2 à 1 heure jusqu'à ce que tout soit rangé et les voiles bien réglées. Alors il faut être sûr de son coup.
La journée se passe tranquillement selon la petite routine qui maintenant s'est établie. Matin lecture en anglais pour Nils et petite école pour Estelle et parfois Tim (quand il reste en place). Mails et météo pour Delphine. Puis parties d'échecs pour Nils, Estelle et Huaras. Cuisine, pêche, histoires, sieste et voilà le soleil commence déjà à se coucher. Cette fois-ci on commence à penser à l'arrivée aux Marquises. Plus que 4 jours à peine et moins de 600 miles. On regarde les mouillages sur les cartes électroniques. Notre arrivée se fera à la baie des Vierges sur l'île de Fatu Hiva, l'île la plus au sud des Marquises. Des bato-copains déjà arrivés nous confirment les superbes descriptions que nous avons lues dans de nombreux récits de navigateurs. On se réjouit car on commence à accumuler ne certaine fatigue avec le bruit du sillage, les mouvements perpétuels du bateau et les nombreux réveils nocturnes. Les enfants eux dorment très bien et ne se réveillent jamais durant la nuit. Ils ne semblent pas être fatigués.
A bord on utilise presque exclusivement les cartes électroniques avec le GPS intégré qui nous donne la position exacte du bateau. Cela permet un gain de place et de poids considérable par rapport aux cartes papiers, vestiges d'une époque désormais révolue. Nous avons 2 systèmes différents (Navionics, Open CPN) que nous comparons afin d'avoir le maximum d'information. Nous avons un traceur au poste de barre, 2 ordinateurs que nous utilisons rarement et 2 Ipad très pratiques lorsqu'on arrive dans des zones délicates, car on peut les prendre avec soi à l'avant du bateau ou sur le rouf pour avoir une meilleure vision. Pour compléter ces cartes qui peuvent avoir des lacunes ou des imprécisions, nous avons pour la plupart des zones visitées, des guides nautiques qui détaillent les mouillages principaux. Mais avant tout 2 paires de bons yeux avec lunettes polarisées sont la meilleure sécurité.
Nous consultons aussi régulièrement le site internet www.noonsite.com qui donne les dernières infos sur les formalités, les ports et la sécurité des pays visités. Pour les visites à terre nous lisons des guides touristiques du type Lonely planet, Géo ou Petit Futé. Nous lisons aussi quelques blogs de navigateurs dont certains sont de véritables guides de voyage. Les photos de Google Earth lorsque nous avons une bonne connexion, nous permettent aussi d'avoir une idée précise de la topographie des lieux à l'avance et nous donnent souvent des idées supplémentaires de mouillages et de découvertes peu connues. A demain. Delphine
Jour 16, 160 miles parcourus les dernières 24 heures Position le 3 juin à 18h15 UTC 9°54'24 S 133°00'30 W
Déjà 16 jours de navigation, 2600 miles (4800km) et 42° de longitude et 9° de latitude de parcourus. Sur un globe terrestre cela commence même à faire un trajet bien visible. Il nous reste encore 2 bonnes journées de navigation avant d'atteindre Fatu Hiva. On a hâte de voir si ce qu'en disait Brel est vrai. On s'impatiente de voir si les femmes sont réellement lascives au soleil redouté; si la mer se déchire sur des rochers qui prirent des prénoms affolés; si la pluie est vraiment traversière et bat de grains en grains de vieux chevaux blancs qui fredonnent Gaugin; et si, même s'il n'y a pas d'hiver cela n'est pas l'été. De toute façon, on est tous d'accord que, certainement, le temps s'immobilise, aux Marquises.
Cette nuit à 1h00 du matin, on a dû descendre le Parasailor, car le vent forcissait à 23-25 nds. On commençait à faire de beaux surfs. Les manoeuvres de nuit sont toujours un peu plus stressantes. On l'a remplacé par le génois seul qui nous a permis de finir plus paisiblement la nuit avec une moyenne d'environ 6 nds, ce qui est déjà pas mal avec la voile d'avant seule.
Heureusement que l'on tient un journal car sinon tout finirait par se confondre, tant notre horizon varie peu. La seule chose qui change c'est le cours du soleil, la forme des nuages lorsqu'il y en a et la hauteur des vagues. Ah! Bon que ça? Non, en fait il y a aussi les oiseaux, chaque journée de la traversée on en a vu, nous n'avons pas de tels souvenirs lors de la transat. A chaque fois on se demande comment ils font pour être si loin des terres et l'on est admiratif. Ils viennent vers nous, tournent quelques fois autour du bateau et repartent. Ce matin une frégate était très intéressée par nos leurres qu'elle voyait en transparence dans l'eau. On a hésité à remonter les cannes, car cela ne nous disait rien de pêcher un oiseau aussi marin soit-il. Nous ne sommes pas encore si affamés que ça. Mais elle connaît son affaire et a vite vu que ce n'était pas des vrais calamars. Bien sûr on a aussi des visiteurs, mais plutôt calmes ceux-là. Chaque matin on fait la récolte des poissons volants et des petits calamars qui ont été projetés par les vagues durant la nuit.
Nous avons pu contacter un atelier de réparation sur l'île principale des Marquises et apparemment ils pourraient effectuer la réparation nécessaire sur le hauban. Encore faut-il avoir les pièces nécessaires. Merci aux amis déjà sur place de nous avoir transmis l'adresse de Yacht Services Nuku Hiva.
L'après-midi pour donner du courage aux troupes, je me suis lancée dans la confection d'une Charlotte au chocolat. Estelle a dit que c'était un merveilleux gâteau avec un si joli nom. Nils commence à bien s'améliorer aux échecs, tandis que Tim et Estelle adorent jouer au jeu de l'oie.
Notre balise spot ne fonctionne plus. Marc va essayer de faire un tracé avec les point GPS quotidien envoyé. Merci à lui! Enfin, depuis quelques heures, la houle s'est bien orientée, ce n'est pas trop tôt. Nous savons d'après les prévisions envoyées par nos différents routeurs tous plus sympathiques les uns que les autres, que cette heureuse situation ne va pas durer. Alors, on en profite. A demain. Huaras et Delphine
Jour 17, 154 miles parcourus les dernières 24 heures Position le 4 juin à 18h25 UTC 10°1'28 S 135°39'09 W
Ce matin la grosse houle de 3 mètres est revenue, elle déferle par moments car le vent depuis la nuit passée est fort, 24-25 nds de moyenne avec des pointes à 30 nds. Il ne descend pas en dessous de 20 nds. Alors on continuera avec le génois seul durant les prochaines 24 heures. On n'ose pas mettre la grand voile avec deux ou 3 ris, car le vent vient trop de l'arrière et elle déventerait le génois. Cette houle est fatigante et elle commence à nous lasser.
Une frégate était très intéressée par les appâts au bout de nos cannes à pêche. On a bien cru qu'elle allait piquer sur l'un deux car elle n'arrêtait pas durant une dizaine de minutes de frôler l'eau juste où ils se trouvaient. Alors ça non, on ne voudrait pas pêcher des oiseaux maintenant. Heureusement elle voit finalement que les appâts sont trop roses pour être vrais et elle s'en va vers d'autres horizons.
Ensuite un moulinet s'est mis à crépiter très rapidement, un gros poisson a mordu la ligne. De nouveau un espadon de 1.5 mètres. Décidément ils aiment nos leurres. Il n'est pas très combatif et comme il n'est pas trop gros, on décide de le ramener à bord, histoire de refaire le stock de poisson pour l'arrivée. On le fatigue un moment, puis on essaie une nouvelle technique, car on pense qu'il sera trop lourd de le ramener juste avec la canne. Huaras prend son fusil de chasse sous-marine tout neuf et le vise. Ainsi nous aurons plus de force et de prises pour le ramener à bord. Mais le vent est fort et cela tire beaucoup. Soudain ce sont les hameçons qui s'ouvrent, le poisson se décroche de la canne et casse la ficelle qui retient la flèche au fusil en emportant la flèche. On l'a raté, on est très déçu d'avoir gâcher une belle bête comme ce poisson. Nos leurres sont pourtant faits pour les dorades et ces fichus espadons n'arrêtent pas de les mordre.
Ne voulant pas se laisser abattre, on décide de s'offrir un petit apéritif, dérogeant, une fois n'est pas coutume, à la règle de "bateau-sans-alcool en traversée". On ouvre une des dernières bouteilles de notre cave avec des petits toasts et un bloc de foie gras acheté il y a 7 mois en Martinique. Et c'est pop-corn party pour les enfants. Au coucher du soleil, c'est sympa! Ensuite, lors de notre moment "étoiles", toute la famille sur la banquette au poste de barre, on observe une magnifique étoile filante à la trajectoire très horizontale qui dure plusieurs secondes. Une des plus belles qu'on ait vue.
On a encore reculé nos montres d'une heure. Au fait, avec tous les préparations pour la traversée, on a oublié de paranoïer sur les éventuelles rages de dents, d'appendicites probables et autres trucs sympa qui pourraient sans crier gare rendre la croisière un peu plus pimentée. Tant mieux. De toute façon, vu les médicaments du bord, on est prêt pour ouvrir un hôpital de campagne... Ou de mer. Un hôpital de mer. Pas mal ça comme concept. Le Pacifique? C'est grand. Une autre dimension d'avec la mer des Caraïbes, voir même de l'Atlantique. Avez-vu le film "Super Size Me"? L'histoire du gars qui se fait gonfler en mangeant les grosses portions proposées par les restaurants fast food pour voir l'effet à court terme et finit à l'hosto très rapidement... Le Pacifique est un peu comme ça: super size! Tout est plus grand. Les traversées, les vagues, la houle, les oiseaux, les poissons. Surtout les poissons. Pas moyen d'avoir un truc en dessous du mètre. Le comble. Intérêt à aimer manger du poisson.
Demain c'est notre dernier jour. Youpie! On arrive bientôt à la baie des Vierges sur Fatu Hiva. Rebaptisée ainsi plus pudiquement pas les missionnaires. Le mythe du bon sauvage est encore vivace... Bye, bye. Huaras et Delphine
Jour 18, mercredi 4 juin, 170 miles de parcourus les dernières 24 heures
L'impatience et l'excitation monte à bord d'Oniva. C'est notre dernière journée de traversée. Demain en se réveillant, si nos GPS sont justes, on sera en vue de Fatu Hiva, l'île la plus au sud des Marquises. Notre but, tant attendu, calculé, visé, espéré jour après jour. C'est un peu comme les dernières foulées d'un marathon ou comme la dernière longueur d'une voie parsemée de difficultés, de surprises, d'imprévus. On s'active, on se croit arrivé, mais attention ce n'est pas le moment de trébucher, de lâcher prise, de faire une gaffe. Il faut rester vigilant, ne pas vendre la peau de l'ours avant de l'avoir tué, ou plutôt dans notre cas, ne pas faire de la place dans le congél. avant d'avoir remonté le poisson à bord!
En parlant de poisson, aujourd'hui encore on en a loupé un beau, une grosse dorade coryphène cette fois-ci, personne n'était attentif et la bête en a profité pour dérouler tout le moulinet sur 300 mètres avant qu'on s'en aperçoive! Le bateau filant à plus de 8 noeuds avec le Parasailor, autant dire qu'il fut impossible de la ramener à bord avant que la coquine ne se décroche. Sapristi, dans ce domaine on n'a vraiment pas de bol. Il va falloir qu'on affine la technique et surtout qu'on trouve du matériel plus solide à la dimension des poissons du Pacifique qui semblent plus nombreux et plus balaises que leurs cousins de l'Atlantique. C'est promis le prochain magasin de pêche qu'on rencontre, on y fait une razzia.
Il fait très beau, pas un nuage, mais par contre la houle est sérieuse, un bon 3 mètres, mais venant de l'arrière, alors c'est plus gérable, sauf lorsque ça part en surf et que les secousses menacent de tout mettre par terre. Dans ces conditions, un cata ça ne gite pas comme un monocoque, mais ça secoue, ça vrombit dans le tunnel entre les 2 coques. A vous de choisir! Pour la première fois les enfants montrent des signes de fatigue et d'impatience, il est temps qu'on arrive et qu'on aille se dégourdir les jambes à terre. On renfourne une série de biscuits de Noël, car cela occupe un moment, ça rallie tous les suffrages et adoucit les esprits. Bon on est fatigué, on va aller se coucher et demain en se réveillant on espère voir la terre, avec des arbres, des fleurs, des gens, avec tout quoi! A demain Delphine
On voit la TERRE!!! Youpie. On es.t bientôt arrivé. Il nous reste 31 miles à parcourir. A ce moment-là, notre position le jeudi 5 juin il est 15h54 UTC 10°17'38 S 136°54'30 W, pour nous il est 6h54.
Le soleil s'est levé depuis 10 minutes. Les enfants viennent de se réveiller de sortir de leur cabine, Delphine ouvre un oeil sur la banquette dans le carré et Huaras à la barre avec les jumelles crie TEEEEEEERRE!!!! Des exclamations de joies fusent dans tous les sens, on est tellement content. Enfin on arrive. Youpie! On a traversé le Pacifique! Delphine est très émue et soulagée qu'on arrive sans trop de problèmes et que tout se soit bien passé avec les enfants. Le Capitaine est apaisé de voire qu'il a mené sa famille à travers l'océan avec succès. C'est un grand moment, une étape mémorable.
Combien de fois nous nous sommes demandé si nous pourrions le faire, si cela était raisonnable, si nous en aurions le courage. Mais depuis que nous avions franchi le canal de Panama, nous ne nous étions plus posé la question, c'était une évidence et nous n'avions plus de craintes.
On demande alors aux enfants ce qu'ils vont faire en premier quand on sera arrivé: Nils: Je vais aller courir sur la plage, prendre mon arc et ma catapulte et tirer des flèches et des cailloux. Ensuite j'aimerais bien qu'on fasse un feu. Regarde j'ai déjà préparé mon sac avec mes affaires. Tim: Moi aussi je veux courir à fond les manettes puis j'aimerais faire un feu, un gros feu, jouer au sable et me baigner. Estelle: J'aimerais faire de la trottinette et voire des biches. Et Huaras: Aller se promener tranquillement sous les arbres. Quant à Delphine: Faire un plongeon dans cette belle eau qui nous a entourée depuis plus de 2 semaines, puis se balader au milieu des fleurs.
Avant le déjeuner, on remet le Parasailor pour gagner quelques noeuds de vitesse. On constate qu'il nous reste encore beaucoup de produits frais: 6 pommes, 12 pamplemousses, 15 citrons, 10 carottes, 10 oignons, 1 chou, des cives, 6 bananes plantains, 3 poivrons, 2 courges et de la viande, du poisson, du jambon et du fromage. Le scorbut est encore loin de nous guetter et nous pourrions presque ouvrir un magasin de fruits et légumes en arrivant!
On aura traversé des Galapagos aux Marquises en 18 jours et 4 heures malgré notre avarie de hauban. Au départ, de nature modeste, on pensait mettre environ 21 à 22 jours. Nous avons eu plus de vent et surtout plus de vagues que prévu d'où les 18 jours et d'où l'avarie. 2944 miles sur notre GPS, 38° degré de longitude et 10° de latitude, une moyenne de 162 miles par jour (= 300km), soit 6.75 noeuds de moyenne par heure (= 12.5 km/h). Pousser sa maison avec le vent à cette vitesse sur une aussi longue traversée, c'est réellement particulier.
Désormais, le Pacifique jusqu'en Australie ne sera plus que sauts de puces. Certaines puces auront tout de même environ 800 miles à franchir, mais la plupart ne seront distantes que de deux ou trois jours de navigation. Autant dire qu'une fois notre hauban réparé et qu'avec notre équipage de bébés transocéaniques amarinés, ce devrait être du gâteau. Restons modeste. Une île après l'autre. A voir ce qui reste devant, il y en a encore pas mal. Les Tuamotus, la Polynésie, les Cooks, les Tongas, les Fidji, etc..., etc... pas de quoi encore s'ennuyer.
Un grand merci à notre copain Marc pour avoir fait du presque instantané. Grâce à lui, les nouvelles arrivaient sur notre site tous les jours. Malgré une panne de balise Spot, il a manuellement palié à ce petit problème pour que notre site puisse toute de même contenir notre position et notre avancement au jour le jour. Un grand merci à Marc.
La bouteille de champagne est au frais et bientôt on pourra la déguster à plat sans bruit et sans mouvement. A notre santé et à la vôtre aussi! Merci de nous avoir suivis. Les photos suivent dans l'onglet suivant.
Delphine, Huaras, Nils, Tim et Estelle